Solidaires de bon matin

 Solidaires de bon matin

Le camp de l’avenue de Flandre


Tous les jours, place Stalingrad, à Paris, des petits déjeuners sont offerts aux réfugiés par P’tit Dej’ à Flandre (A noter que durant l'été, les petits déjeuners sont servis au jardin d'Eole, ndlr). Un collectif créé en 2016 par les voisins d’un campement tout juste installé dans leur quartier, qui ont voulu apporter leur aide. 


Huit et heures et demie. Cécile, baguettes sous le bras, ouvre les portes du local où sont entreposés le matériel et les denrées pour la distribution. Quatre ­volontaires sont inscrits au tableau de présence aujour­d’hui, ils ­seront finalement huit. Quelques réfugiés impatients aident le petit groupe de bénévoles à ­porter une table et des sacs, à pousser des chariots de super­marché, bref, à procéder à l’installation.


Aux abords du canal, à quelques mètres du métro ­Stalingrad, à Paris (XIXe), la file d’attente est déjà constituée. Parmi les présents, Laahl Mohamed, un étudiant afghan de 23 ans qui est venu avec ses amis depuis leur campement situé de l’autre côté, à Jaurès. Sur la table trônent deux énormes thermos, accompagnés des ­inconditionnels du petit déjeuner continental : pain, confitures, pâtes à tartiner, viennoiseries, fruits…


 


Seize litres de café, huit pots de confiture…


“Tea or coffee (thé ou café ?)” Le service commence. ­Salomé, une collégienne de 12 ans, s’isole dans un coin avec un réfugié pour lui donner sa leçon de français quotidienne, tandis que sa maman distribue des produits d’hygiène et répond aux différentes demandes en anglais – la langue de rigueur pour communiquer. Il est bientôt 10 heures, c’est la fin du service. Cécile annonce le bilan de la matinée : “Seize litres de café, seize litres de thé, huit pots de confiture…” Il est l’heure de remballer et de faire l’état des stocks pour le lendemain.


Flash-back. Deux ans plus tôt, en 2016, Claire observe depuis sa fenêtre le camp de réfugiés qui vient de s’installer près de chez elle, avenue de Flandre, et se demande comment leur venir en aide. Dès le lendemain, elle descend des seaux d’eau chaude et distribue du thé, des fruits et du pain tout juste achetés. Des voisins observent ce rituel quotidien et décident de lui prêter main-forte : “Un soir, un copain m’appelle et me dit : ‘Ma voisine distribue du thé demain matin, est-ce que tu veux venir ?’ C’était un coup de pouce très simple, très ­efficace, et surtout régulier. Puis nous avons cherché à perfectionner le système, et c’est devenu un collectif un peu plus important. Nous avons créé une page Facebook, une cagnotte en ligne et un tableau avec la liste des ­volontaires”, se souvient Jérôme.


 


Entre 70 et 200 réfugiés servis chaque jour


Le camp, qui accueille jusqu’à 3 000 réfugiés, est finalement évacué le 4 novembre 2016 par les forces de l’ordre. “Nous avons décidé de continuer : nous avions un lieu, un local de stockage avec de l’eau chaude… nous voulions garder ce point d’ancrage. Pendant quelque temps, nous avons servi entre 20 et 30 personnes, des exilés isolés qui connaissaient ce lieu. Au printemps 2017, nous avons eu à nouveau beaucoup de personnes. Nous nous adaptons”, poursuit le bénévole.


Afin de nourrir chaque matin un maximum de monde, P’tit Dej’ à Flandre gère deux types d’approvisionnement. D’une part, des collectes sont organisées dans les magasins volontaires avoisinants pour les denrées non périssables et les produits d’hygiène. “On fonctionne comme les banques alimentaires : on remplit quatre ou cinq chariots en une demi-journée, ça marche très bien”, explique Jérôme. Ces dons sont entreposés dans un local, les tournées sont organisées en fonction des stocks. “Au quotidien, ce sont principalement les boulangers du quartier qui nous approvisionnent avec des ­invendus : pain, gâteaux, viennoiseries.”


A cela s’ajoute une cagnotte en ligne (aujourd’hui clôturée), lancée sur le site morning.com. “Il y a des dons ­réguliers mais, en fait, nous dépensons assez peu, poursuit Jérôme. L’essentiel de la nourriture provient des collectes.” Chacune d’elles, auprès de particuliers ou de commerçants, est l’occasion de sensibiliser l’opinion sur le sort des réfugiés et les conditions de vie dans les campements. Mais aussi de recruter de nouveaux volontaires.


Aujourd’hui, P’tit Dej’ à Flandre compte une cinquantaine de membres actifs et 250 inscrits sur sa liste de diffusion. Le collectif sert environ 70 personnes par jour, et jusqu’à 200 en été. Cette dernière période nécessite d’ailleurs une organisation particulière : un regroupement est opéré avec une autre structure, afin de pallier le manque de bénévoles lors des grandes vacances. Deux fois par semaine, P’tit Dej’ à Flandre dispose également d’un autre point de distribution non loin de là, devant l’association France terre d’asile, à Jaurès.


 


Des bénévoles aux profils variés


Au sein du collectif, pas de hiérarchie ni de procédure stricte à respecter : tout le monde est sur un pied d’égalité. “Les nouveaux nous demandent comment faire, témoigne ­Jérôme. Nous leur disons : ‘Vous pouvez faire comme ça, mais vous pouvez aussi faire autrement.’” Jeune retraitée de 63 ans, Sylvie est une des dernières recrues : “Je suis hyperactive, il fallait que je bouge. J’ai donc répondu à l’appel des bénévoles lancé sur Facebook.” C’est également le cas d’Emily, diplômée en architecture, actuellement en service civique. Elle écrit un mémoire sur l’appropriation des espaces par les migrants dans les pays d’accueil et a souhaité se confronter à la réalité du terrain en se rendant utile.


 


Une expérience humaine avant tout


Cécile, 36 ans, professeure des écoles en maternelle, explique, quant à elle, les raisons de son engagement : “J’agis en accord avec mes convictions politiques, favorables à l’accueil inconditionnel des exilés. Ça m’apporte une paix intérieure, mais aussi beaucoup de contacts ­humains très forts, avec les réfugiés ou les citoyens solidaires.” En plus “d’encadrer” les nouveaux lors des ­distributions, Cécile gère aussi la page Facebook et ­organise des collectes. 

Rose Villeneuve