Karem Ben Hnia, pour la Tunisie

 Karem Ben Hnia, pour la Tunisie

crédit photo : Julian Finney/Getty Images/AFP


Triple médaillé d’or lors des championnats d’Afrique cet été, l’haltérophile s’apprête à disputer au Turkménistan les Mondiaux, qualificatifs pour les Jeux olympiques de 2020. Très consciencieux, le garçon se donne les moyens de rêver. 


Dans un pays, la Tunisie, qui fait la part belle aux sports collectifs, comment avez-vous atterri dans le milieu de l’haltérophilie ?


Pour être honnête, ce n’est pas moi qui ai choisi ce sport, c’est lui qui m’a choisi. J’étais scolarisé à Moknine, dans le gouvernorat de Monastir, et ils cherchaient des athlètes en devenir. J’avais semble-t-il le pedigree, selon eux, pour devenir un grand champion. J’ai donc commencé entouré de mes entraîneurs, Mohamed Zidi, Hedi Mlayeh et Habib Ben Mansoura, dès l’âge de 8 ans. Les trois premières années, je n’ai travaillé que la technique, le jeu de jambes, les mouvements simples et j’ai fait du renforcement musculaire. Ensuite, j’ai commencé à étudier l’arraché et l’épaulé-jeté, qui sont les mouvements de base de mon sport. J’ai débuté avec du bois et j’ai tout de suite apprécié porter des choses lourdes. Je faisais une séance par jour, du lundi au samedi.


 


Tout est allé très vite et, en 2010, vous avez remporté votre première médaille lors des championnats d’Afrique, disputés en Egypte…


Il s’agissait de ma première compétition internationale. J’ai décroché l’argent, j’étais heureux, mais j’ai tout de même pleuré, car je voulais remporter l’or. Depuis que j’ai débuté ce sport, je rêve de devenir un champion et de grimper sur la plus haute marche du podium. Je ne pouvais pas cacher ma déception.


 


Après une médaille de bronze glanée lors des championnats du monde cadets au Pérou en 2011, vous y retournez en 2013 pour vos premiers Mondiaux juniors. Votre résultat a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?


Je suis arrivé avec beaucoup d’ambitions, je voulais absolument monter sur le podium. Malheureusement, j’ai terminé à la 4e place pour un kilo. J’étais très triste, mais ça a été une grande source de motivation pour moi. Dès lors, je n’ai plus raté aucun entraînement, je travaillais d’arrache-pied. Avec pour objectif de réussir à décrocher l’or la fois suivante.


 


L’or, vous le décrochez d’ailleurs à Kazan, en Russie, en 2014, pour vos seconds championnats du monde juniors…


Sans aucun doute le plus beau moment de ma vie. Je termine 1er à l’arraché, 2e à l’épaulé-jeté, et 1er au général. Je termine devant les Russes et les Chinois, je grimpe sur la plus haute marche et là j’oublie toutes les douleurs, les sacrifices pour en arriver là, j’étais tellement heureux. En plus, cette même année, j’avais décroché mon bac avec la meilleure moyenne de ma classe. Une année inoubliable.


 


En 2015, vous participez, à Houston (Etats-Unis), aux championnats du monde, seniors cette fois…


Oui, là ça n’avait rien à voir. La concurrence, déjà, mais aussi l’expérience. J’avais 21 ans, je me retrouvais entouré d’athlètes qui avaient entre 25 et 28 ans, qui avaient bien plus travaillé que moi. Malgré la pression de l’événement, je réalise un super championnat, en battant mes records personnels (150 kg à l’arraché et 183 kg à l’épaulé-jeté) et en me classant 5e. Ce qui m’a permis de me qualifier directement pour les Jeux olympiques (il fallait terminer dans les huit premiers, ndlr).


 


Les JO de Rio en 2016, c’était un rêve ?


C’est celui de n’importe quel athlète. Quand on ne participe pas aux JO, il manque quelque chose dans sa carrière. Là, j’y étais, et ça n’avait rien à voir avec les Jeux olympiques cadets que j’avais disputés à Singapour en 2010. J’étais très impressionné, au milieu de tous ces grands athlètes connus et extrêmement professionnels. Malheureusement, je n’étais pas arrivé dans les meilleures dispositions : la préparation avait été compliquée à cause de soucis dans notre fédération et d’une élection qui tardait à avoir lieu. Malgré cela, j’ai pris la 4e place en arraché et j’ai été éliminé en épaulé-jeté. J’ai gagné une grande expérience et je me suis tourné immédiatement vers les JO de 2020, à Tokyo, où je ferai tout pour monter sur le podium et rendre fier tous les Tunisiens.


 


En Tunisie, dans votre sillage, l’haltérophilie gagne-t-elle en popularité ?


Un peu, mais ce n’est pas encore un sport populaire. Mes belles prestations permettent de créer un engouement, mais il va falloir encore des podiums et des médailles pour que tout le monde se prenne au jeu. Aujourd’hui, l’haltérophilie ne te permet pas de gagner ta vie, les salaires sont moins élevés que dans les sports collectifs. Il te faut ton diplôme pour pouvoir travailler après et, surtout, un sponsor. J’ai la chance d’avoir Citroën, qui m’a beaucoup aidé, avec des encouragements financiers et moraux. Sans sponsor, j’aurais eu énormément de problèmes pour réussir à m’en sortir.


 


Vous vous préparez donc actuellement pour les championnats du monde, qui auront lieu en novembre au Turkménistan et qui sont qualificatifs pour les JO. Comment se déroule cette période ?


C’est intense. J’ai changé de catégorie : j’étais en 69 kg (pour 1,71 m) et là, je suis passé en 73 kg, donc je travaille deux fois plus. Jusque-là, avant chaque compétition, je devais faire des régimes, à cause desquels j’avais vertiges et d’autres soucis, j’ai donc décidé de passer dans la catégorie supérieure et d’affronter des athlètes qui soulèvent des charges plus lourdes. Pour être à la hauteur, j’ai fait un stage de quinze jours en Bulgarie, en compagnie de mon coach bulgare Constantin Darov et d’autres athlètes étrangers, hommes et femmes. Le médecin de l’équipe nationale m’a prescrit des compléments alimentaires et des vitamines, afin d’augmenter mon poids. Je les prends en plus de mes quatre à cinq repas quotidiens, lors desquels je mange beaucoup de protéines. Les trois semaines précédant les Mondiaux, je vais aller m’entraîner à Monastir, dans un hôtel qui possède une salle d’haltérophilie, avec Mohamed Ben Amar, mon coach tunisien. Je vais tout donner pour faire partie des huit premiers et me qualifier pour les JO, afin de rendre fier mon pays et mes parents, Aroussi et Mounira, qui m’ont toujours soutenu. 

Jonathan Ardines