(video) En banlieue, les filles chaussent les crampons

 (video) En banlieue, les filles chaussent les crampons

crédit photo : Ian Spanier/AFP


Il est loin le temps des quolibets et des appréhensions ! Désormais, le football au féminin se conjugue avec tactique, mental et technique. Dans les quartiers, les jeunes filles marchent dans les pas de Mbappé ou de Dembelé et rêvent même d’une carrière professionnelle



Bobigny, en Seine-Saint-Denis, est une ville de foot. Le Red Star, un club de Ligue 2 au prestige certes moins important que le PSG, mais à l’âme plus populaire, y est né. C’est là aussi que réside l’Etoile Football Club de Bobigny, qui a choisi de s’implanter entre le quartier Pont-de-Pierre, le Petit Drancy et la cité Paul-Eluard. Au stade de la Motte, en cette fin d’après-midi, les projecteurs viennent de s’allumer et les ballons fusent déjà dans tous les sens. Des adolescentes vêtues du maillot du PSG courent en petite foulée. Sur l’un des terrains synthétiques, une jeune fille enchaîne les exercices autour de plots et de barres en plastique.


Malgré le froid de ce mois de mars, leur entraîneur, Thomas Thérèse, chargé des équipes féminines, délivre les dernières consignes à ses adjoints pour rythmer les entraînements des sections U13 (11-12 ans) et U15 (13-14 ans) du club. Opposition, contrôles, passes, travail tactique… “L’amour du ballon vient en jouant, explique le coach. J’ai commencé comme tous les jeunes de quartier. Le hasard a voulu que je ‘dépanne’ des entraîneurs. J’ai pris goût à poser des coupelles, à travailler mes séances à la maison. Il y a cinq ans, j’ai demandé au club de créer une section féminine, ce qui était rare à l’époque. Il fallait le faire, car il y avait des filles dans le quartier qui le réclamaient.”


 


Un effet Mondial attendu


Si, à regarder les chiffres la Fédération française de football (FFF), le football féminin est encore à la traîne sur le nombre de licenciés (165 000 en 2018, contre 2 millions pour les garçons), il a toutefois connu une hausse impressionnante ces dernières années. “Au début, on n’avait qu’une catégorie et c’était difficile de réunir onze filles, estime Thomas Thérèse. Dorénavant, le football féminin est bien vu et on a une soixantaine de licenciées. Avec la Coupe du monde féminine en France, leur nombre devrait encore augmenter.”


Ce changement de paradigme et de vision est le fruit de plusieurs facteurs. Le foot féminin a d’abord vu l’arrivée d’investisseurs, notamment les grands clubs de Ligue 1. La retransmission des matchs à la télé a aussi permis de familiariser un plus large public, qui associait encore trop souvent le foot à la virilité ou au machisme.


Sur les terrains synthétiques, les passes s’accélèrent et l’entraîneur-adjoint, Joshua, demande un peu plus de rythme dans les transmissions. Celui qui jouait au Red Star dans les catégories jeunes est devenu éducateur il y a peu. Après avoir coaché quelques garçons, il se dit “étonné par le potentiel de l’équipe féminine” : “Les entraînements ressemblent beaucoup aux garçons. On inculque les mêmes valeurs, la même passion du jeu. La seule différence est physique.”


 


Passer de la danse au ballon, c’est devenu normal


Les filles, sur le grand rectangle vert, mettent toutes leurs forces dans la bataille. Le sérieux prime. On est loin du jeu de ballon au pied des immeubles de la cité. Même si c’est là qu’elle a “découvert le foot”, la défenseure centrale de 15 ans, Dylek, a décidé de se lancer en club. “J’ai commencé avec les garçons au Red Star avant de m’engager ici avec l’équipe féminine. Auparavant, je faisais de la danse, mais ma passion, c’est le foot. C’est devenu normal pour une fille. Les mentalités ont évolué.”


Bien loin du cliché “les filles de banlieue ne peuvent pas jouer au foot”, Joshua estime même que c’est “archi faux de penser ça”. “Si ça bloque encore, c’est souvent chez certains hommes sexistes, qui pensent qu’elles n’ont pas le niveau. Les inégalités hommes-femmes dans le foot sont les mêmes que dans la société. En plus, la région Ile-de-France est un vivier de pépites du foot féminin. On a ­davantage accès au sport ici qu’ailleurs.”


Au bord du terrain, quelques garçons chambrent gentiment les filles. Pas d’invectives ou de rires gras. Plutôt de l’admiration accompagnée d’un commentaire en direct : “Rania qui passe à Sabrina. Merveilleux contrôle accompagné d’une roulette.” Les réticences à voir une proche enfiler des crampons tombent de plus en plus. Une mère transie de froid, Isabelle, observe sa fille : “Je viens à tous ses matchs et ses entraînements. Elle avait du mal à faire du sport. Elle a trouvé le foot et ça lui plaît.”


Pour sa part, la jeune défenseure centrale de 14 ans, Abby, a dû convaincre ses parents. “Même si je voulais m’entraîner depuis longtemps, ma mère estimait que c’était un sport de garçons. Finalement, j’y suis parvenue. Aujourd’hui, on peut même envisager une carrière. Si je me donne les moyens, je peux y arriver.” Pour Sabrina, latérale gauche de 16 ans, “faire du foot, ce n’est pas un truc de fou” : “C’est une copine qui m’a amenée et même si j’ai pratiqué d’autres sports, je ne compte pas en changer.”


 


Pas encore de “star” à aduler


Il fait nuit et les filles s’en donnent à cœur joie lors d’un match sur demi-terrain. Contrôle orienté, passements de jambes, corners… Les joueuses “stars” manquent encore, à l’exception peut-être de la Montpelliéraine Sakina Karchaoui. Les adolescentes en pincent pour le Brésilien Marcelo, les Français Raphaël Varane ou “Ousmane Dembelé”, comme l’avoue Sabrina, avant de partir dans un grand éclat de rire. Abby pense que cela est dû au fait “de les voir à la télévision plus souvent”.


Avec la démocratisation du foot féminin, on voit arriver de nouvelles vocations pour ces jeunes filles. On parle maintenant de carrière, de médias, de pubs… Tout cela enchante l’entraîneur Thomas Thérèse : “Je vois l’avenir du foot féminin radieux. Des amis le jugeaient comme trop lent, en manque d’impact et de vitesse. Ce sont les mêmes qui rentrent vite à la maison dorénavant pour voir les matchs, preuve que les mentalités changent.”


 


Une médiatisation bienvenue


Et de poursuivre : “Le foot féminin se professionnalise aussi. Des propositions arrivent pour les filles à fort potentiel, de la part de clubs de Ligue 1, comme l’Olympique Lyonnais ou le PSG, mais aussi le Paris FC, qui est en deuxième division chez les hommes, mais en première chez les femmes. Les matchs commencent à être diffusés à la télé, certaines anciennes joueuses sont devenues consultantes. On les voit dorénavant dans les pubs, etc.”


Preuve, s’il en fallait une, que le foot féminin est désormais à la portée de toutes. Il y a fort à parier que le Mondial féminin retiendra l’attention et ouvrira de nouvelles ­vocations, pour les futures Mbappé au féminin. 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.