Les migrations sur le devant de la scène

 Les migrations sur le devant de la scène

crédit photo : Gaëlle Simon


Depuis deux ans, le drame des migrants donne lieu à de nombreuses créations sur les scènes françaises. Fictionnelles ou documentaires, elles témoignent d’un fort désir de s’éloigner des représentations médiatiques. De remettre l’individu au cœur du sujet. 


Le théâtre est plein de traversées et de naufrages. De douloureux exils. Toutefois, la scène contemporaine d’expression française a tardé à s’emparer de la figure du déraciné. Le retard est en passe d’être rattrapé. Depuis près de deux ans, les créations consacrées au sujet se multiplient. ­Issus de cultures diverses, maghrébines y compris, leurs auteurs et metteurs en scène cherchent à rendre sensible l’expérience de la frontière vécue par les migrants. Son lot de souffrances et d’espoirs.


 


A la limite de la performance


Le sujet pose un évident problème de représentation. Comment montrer sur scène la traversée, alors que les images de naufrages saturent l’espace médiatique ? Pour Sidney Ali Mehelleb, c’est sûr, il faut de la course et de la sueur. “Devant un documentaire sur les passages illégaux à la frontière de Ceuta, j’ai été frappé par la persévérance des migrants. Capables de tenter indéfiniment leur chance malgré les renvois à la frontière et de supporter l’enfermement dans les soutes, ils déploient une énergie incroyable. C’est cet état de corps qui a été le point de départ de mon travail dans Babacar ou l’antilope”, explique le metteur en scène. Sa pièce a été créée en janvier 2017, au Théâtre 13, à Paris. Elle raconte l’arrivée d’un jeune Sénégalais en Europe d’une manière très physique et visuelle. Quasi cinématographique.


Pour dire le passage de la frontière, chacun développe son esthétique hybride, puisant dans plusieurs registres et disciplines, souvent à la limite de la performance. Ainsi, pour mettre en scène Esperanza, Hovnatan Avédikian a fait appel au chorégraphe Aurélien Desclozeaux afin de mettre en forme le naufrage de huit personnes entre les côtes nord-africaines et Lampedusa.


Parmi ces fictions récentes, rares sont celles qui offrent une distance suffisante par rapport au réel. Mais les auteurs développent des récits tout en nuances. Des tragédies aux accents comiques, dont les héros présentent tous les signes de la modernité. A l’image d’Aziz Chouaki, lequel se définit comme un “migrant new look avec iPhone 6, bottines Levi Strauss et bac+7” et qui imagine dans Esperanza des naufragés qui lui ressemblent. Un ingénieur, un peintre, un ancien policier ou encore un chauffeur de taxi qui rient davantage qu’ils ne pleurent. Parce que “le rire est une arme extraordinaire de résistance au drame”.


 


L’absurdité de la frontière


Dans la pièce de Sidney Ali Mehelleb, le personnage de Babacar aurait pu faire partie de l’embarcation d’Aziz Chouaki. Incarné par Mexianu Medenou, le garçon ne fait pas que rencontrer en France la violence de l’administration : il y trouve l’amour en la personne de Gina, jeune Française passionnée de foot et de jeux vidéo. Une manière pour l’auteur et metteur en scène de dire l’absurdité de la frontière et d’éviter toute forme de manichéisme : “L’espace Schengen a été créé pour permettre la circulation des personnes au sein de l’Europe ; pourquoi l’expérience n’a-t-elle pas été étendue à un espace géographique plus large ?” Si, comme le dit Aziz Chouaki, le théâtre n’est pas forcément instrument de savoir, il est le lieu par excellence de l’interrogation. Et celle-ci s’impose. 

Anais Heluin