Tricher au bac : qui payera la fracture ?

 Tricher au bac : qui payera la fracture ?

Illustration – (Photo : Martin BUREAU / AFP)

« Des élèves pris en flagrant délit de triche », « un groupe WhatsApp démantelé rassemblant des lycéens et des enseignants », les examens du bac viennent juste de démarrer qu’ils vomissent déjà leur lot de tricheurs.

On ne reviendra pas sur la polémique qui resurgit chaque année sur la nécessité de faire disparaître (voire réformer) ce sésame de fin d’études secondaires, symbole de la fin de vie d’une adolescence retardée et du début de l’âge adulte.

Mais ce qui interpelle, c’est cette propension à la triche qui, chaque année, devient comme un plan concocté aux petits oignons, de plus en plus difficile à repérer avec l’essor des nouvelles technologies, mais chaque année avec un nombre d’adeptes en progression croissante.

Bien sûr, si l’on peut remarquer la recrudescence de l’acte de tricher, il n’est pas sûr que ces jeunes soient plus tricheurs que nous autres, leurs aînés, mais force est de reconnaître qu’ils sont bien mieux outillés sur le plan de la technologie, ChatGPT promettant monts et merveilles en la matière.

Ce qui fait que cette propension à la tricherie a quelque chose d’inquiétant. Cette tricherie qui gagne en importance indique, chez ceux qui s’y adonnent sans trop de scrupules, un mépris pour la société et son devenir, qui se traduira sans aucun doute à l’âge adulte en un mépris à l’égard des lois et des institutions qui sont au fondement de toute société démocratique. La tricherie apparaît également, d’une autre manière, comme le résultat d’une perte de repères moraux, dont ces jeunes ne sont, là encore, qu’à l’image de la société qui les a éduqués.

Quand les tribunaux du royaume regorgent de députés, de maires, d’élus, bref, de politiques accusés de détournements, de falsifications de documents et même attrapés la main dans la caisse, cet égocentrisme doublé d’arrogance fait que l’homme politique du XXIᵉ siècle revendique presque publiquement le droit de gagner de l’argent ou de réussir, même en dehors des règles.

L’affirmation du profit des uns contre les intérêts des autres semble suggérer un Maroc nouveau, un monde absurde où le sens moral n’aurait aucune importance, une société enfin où « la fin justifie les moyens ».

Cultivant par là même l’image d’une rationalité purement instrumentale, indifférente à toute moralité. Résultat : l’aspiration des Marocains à s’émanciper par la raison est juste une illusion qui réduit la modernité à sa dimension technologique, comme si le fait de posséder le dernier smartphone ou de rouler dans la dernière Mercedes faisait de vous un homme « bien » sous tout rapport.

Car c’est là où le bât blesse. L’« épuisement » du discours sur la modernité doit beaucoup à l’usage immodéré que font les Marocains de ces « pièges à clics » que sont les réseaux sociaux. Les algorithmes qui se cachent derrière ces réseaux (as)sociaux fournissent au mieux des produits ou services à acheter, et au pire, les images les plus sensationnelles, les plus choquantes et les plus préjudiciables qui retiendront votre attention.

C’est grâce à cette logique que les extrémismes de tout poil arrivent à devenir vraiment populaires. S’ils créent, par définition, une dépendance des utilisateurs, ils propagent aussi de fausses informations et encouragent les utilisateurs à interagir davantage avec des fake news qu’avec des informations factuelles vérifiées et fiables.

Par conséquent, la désinformation touche de plus en plus un public plus large. Un vaste et coûteux alibi par lequel il n’y a plus aucune différence entre le virtuel et le réel, quand la légitimité ne s’indexe plus aux expériences de terrain autant qu’elle est sans cesse maquillée sur les réseaux, portée par des YouTubers incultes qui vous somment de cliquer et de recliquer pour recevoir une autre fournée de bêtises. On appelle ça la cybermodernité.

Face à la déliquescence de la pensée chez ces Marocains du futur, qui d’entre nous peut encore se targuer de ne pas ressentir ce sentiment lancinant de malaise qui nous traverse aujourd’hui ?

Comment nos espoirs de voir cette société arabo-musulmane qui nous habite sortir de son sous-développement endémique, bafoués comme nous sommes par un réel sans pitié, avec l’hypocrisie comme musique d’ambiance, de la fausseté à tout coin de rue, de l’arnaque érigée en mode de fabrication – que ce soit sur de simples chaussettes « jetables » parce qu’elles ne supportent pas un deuxième usage, à des chargeurs de téléphone qui se muent en explosifs dès qu’ils chauffent un peu, ou encore ces faux merguez de bœuf mais vraies saucisses de chiens vendues au petit peuple –, bref, une culture de la falsification qui n’épargne aucun domaine, aucune strate de la société, aucun secteur industriel, aucune famille ?

Les espérances de modernité sur lesquelles ont été bâtis nos espoirs de modernité se sont-elles transformées aujourd’hui, pour une grande partie des Marocains, en fermes désespoirs ? Faut-il diagnostiquer là l’échec des slogans brandis par nos intellectuels et nos hommes politiques depuis les années 60, ces beaux programmes tels que l’universalisme, le rationalisme ou encore le progressisme ?