Covid-19 : Les veillées religieuses, problème de santé publique

 Covid-19 : Les veillées religieuses, problème de santé publique


Dans plusieurs quartiers populaires du Grand Tunis, le phénomène est un casse-tête supplémentaire à gérer pour les forces de l’ordre : en plein couvre-feu nocturne, des attroupements se livrent à des rituels incantatoires pour congédier le Coronavirus. Une pratique calquée sur les marches superstitieuses similaires en Egypte.



 


Hier jeudi soir, quartier de la Wardia, pour la troisième nuit consécutive, des riverains souvent amusés ont documenté en vidéo l’étrange procession inquisitoire: des groupes de marcheurs, pour la plupart des jeunes, bravent l’interdiction de circuler et scandent le « takbir » et le « tawhid » dans les rues. Cette fois les forces de l’ordre interviennent, à la faveur d’un jeu du chat et de la souris, pour inciter péniblement les contrevenants à rentrer chez eux.


Le soir du 24 au 25 mars, à Jbal Lahmar, faubourg pauvre de la capitale, même scène (vidéo-ci-dessus) : des jeunes au pas de charge font le tour du quartier, parfois pourchassés par des mères inquiètes. Cette fois les forces de l’ordre sont tantôt débordées, tantôt se contentent de les escorter, impuissantes à faire appliquer le couvre-feu sanitaire. Même spectacle à Nabeul, où femmes et enfants ont rejoint le rituel. 


« Certains sont saouls ! », peut-on entendre sur l’une des vidéos, où l’ivresse de l’alcool se même peut-être à l’état second de l’incantation.


Sur les réseaux sociaux, si la plupart des commentaires s’indignent d’un comportement irrationnel, « irresponsable », « inconscient » et « incompréhensible », d’autres commentaires prient en chœur avec les « manifestants anti Corona » et interdisent toute moquerie.   


Dans le monde connecté et globalisé d’aujourd’hui touché par l’épidémie, cette « mode » nous vient vraisemblablement d’Egypte, où en début de semaine à Alexandrie, des centaines d’hommes ont maudit le Coronavirus par des chants religieux en sillonnant la ville, provoquant la stupeur de certains médias internationaux.  


Pourtant, les scientifiques sont en train de comprendre que, fin février, le contexte similaire (chants à voix haute, promiscuité et postillons à volonté sur les visages à proximité les uns des autres) du match Atalanta-Valence, 45 mille spectateurs, en Italie fut "une bombe biologique". Selon un médecin italien, ce match aurait été une catastrophe sanitaire. Bergame fait office aujourd'hui de ville martyre, avec 700 nouveaux cas révélés chaque jour en moyenne et plus de 500 morts déplorés dans les jours ayant suivi le rassemblement sportif.


L’Italie où la superstition, parfois très coûteuse en carburant, ne manque pas : l'église catholique y réquisitionne ces jours-ci un hélicoptère avec la vierge Marie et le saint sacrement pour demander la bénédiction sur le pays.


Pour certains observateurs, les veillées religieuses dans les quartiers démunis tunisiens sont aussi une démonstration de force destinée y compris aux autorités, une démonstration qui procède d’un besoin « primitif » d’affirmation, d’auto motivation et de marquage de son territoire dans un contexte de vulnérabilité de masse.


Si l’expression de la foi constitue l’un des automatismes par lesquels beaucoup ont besoin de recourir pour composer avec cette épreuve perçue comme une malédiction, l’acceptation de la fermeture des mosquées et des lieux saints constitue pour d’autres une rare occasion d’introspection et d’apprentissage du scepticisme. Un temps de la réhabilitation de la recherche scientifique, seule à même de débarrasser l’humanité du fléau Covid-19. 

Seif Soudani