Tunisie. Le légalisme pour tout programme économique

 Tunisie. Le légalisme pour tout programme économique

A peine remise de l’épreuve de la pandémie de Covid que l’économie tunisienne a-t-elle dû encaisser le coup porté début 2025 par une législation controversée sur les chèques bancaires. Mais quatre mois après cette échéance qui a asphyxié la consommation, voilà que la profonde révision du Code du travail votée la semaine dernière au Parlement menace de fragiliser davantage encore les emplois précaires.

Une notion semble cruellement manquer à la politique du pouvoir en Tunisie, de l’avis quasi unanime des économistes notamment : celle de l’étude d’impact. Animé d’intentions sociales louables au demeurant, le bulldozer législatif s’embarrasse peu des retombées, demain, dans la vie réelle, de ses utopies faites de redressement des torts. Au cœur de cette façon de penser le politique, l’esprit radicalement légaliste consistant en la croyance culturelle qu’il suffit de légiférer pour résoudre n’importe quelle problématique, de décréter comme « interdite » une pratique pour l’exorciser.

« Donnez-moi seulement le cadre légal, et je transformerai les écoles dans cette banlieue en établissements meilleurs que ceux en Islande », promettait ainsi Kais Saïed en campagne électorale.

 

Autisme légaliste et angles morts des agendas idéologiques

Agissant en autarcie, l’exécutif n’a pas pris la peine de consulter des partenaires sociaux, qu’ils soient patronaux ou syndicaux, ni d’engager ne serait-ce qu’un simulacre de débat comme le font des autocraties pour préserver un semblant de légitimité, sur un sujet qui les concerne pourtant au premier chef. Luttant certes contre des abus bien réels de certaines entreprises, cet ami paternaliste qui vous veut du Bien n’a pas besoin de votre avis.

Car tout comme la législation de dépénalisation des chèques bancaires, pavée de bonnes intentions, a collectivement et indirectement puni tant les citoyens consommateurs que les fournisseurs, n’ayant plus droit à cette forme détournée de crédit, la vertu législative qui a présidé au passage en force sur la suppression de la plupart des contrats à durée déterminée (CDD) et de la sous-traitance dans le pays risque de nuire surtout à la flexibilité du marché de l’emploi. Celle-là même qui permettait en dernier recours aux petits travailleurs tout comme aux diplômés chômeurs de dénicher un job en attendant des lendemains meilleurs.

Résultat, selon toute vraisemblance et en s’appuyant sur l’expérience comparée dans d’autres pays où cela fut tenté : quand ils ne rechigneront plus à recruter sous le joug de ce nouvel encadrement légal strict, les employeurs recruteront désormais « au noir », creusant encore plus la fragilité et la couverture sociale des franges les plus vulnérables de la société.

Avec ses promesses de plein emploi et de souveraineté retrouvée, le trait de plume des signatures présidentielles de Donald Trump dans les tarifs douaniers vient nous rappeler que cette fuite en avant n’est pas l’apanage des régimes socialistes : son protectionnisme est en effet en train de produire une inflation galopante et des faillites en nombre historiquement élevé.

C’est là le grand paradoxe des politiques que l’on désigne sous un terme quelque peu galvaudé de « populistes », et que l’on pourrait appeler de misérabilistes en Tunisie, mues par le signalement ostentatoire de la vertu : elles frappent de plein fouet les populations qu’elles aspirent à défendre sous de vibrants slogans.