Ferré en Afrique : La Chine sur les rangs

 Ferré en Afrique : La Chine sur les rangs

C’est dans un train à grande vitesse Thalys reliant Amsterdam à Paris qu’Ayoub El Khazzani était monté lourdement armé.

Continent le moins dense en terme de chemins de fer à l’exception du Maghreb, de l’Egypte ou de l’Afrique du Sud, l’Afrique a plutôt jeté son dévolu sur la route. Pourtant, avec le soutien chinois, des lignes sortent de terre, laissant entrevoir des nouvelles voies de développement. Une croissance liée à la rareté des ressources mondiales et l’abondance des mines en Afrique.

Un trajet jusqu’à Cergy, Marseille ou Bruxelles,… Le premier réflexe d’un Français est de se diriger vers une solution ferroviaire. Avec son premier réseau de trains à grande vitesse et deuxième plus grand réseau ferré d’Europe, la France répond à cette volonté d’améliorer le transport en diminuant l’empreinte carbone. Un rapide coup d’oeil sur la carte mondiale permet de voir la densité en Europe, Amérique, Russie ou Asie. Par contre, le continent africain ne dispose que de 50 000 kilomètres de réseau ferré, soit 5% du total pour 15% de la population mondiale !

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« Le Maroc est un Royaume »

Spécialiste des questions ferroviaires, Jeremie Taieb, président de la société de conseil Tikva Partners et chargé de mission du projet Africarail qui devrait relier le Togo, le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, nous explique les raisons de cette faiblesse. « Le chemin de fer est souvent lié à l’exploitation minière qui permet de le rendre rentable. En ce qui concerne le transport de passagers, c’est une délégation de services publics et l’Etat doit compenser le déficit. Or, depuis la décolonisation, il y a eu extrêmement peu de projets car cela nécessite des investissements importants. Pour mettre en place un kilomètre de route, il faut compter 1 million d’euros alors que pour le rail, cela monte à 3-5 millions d’euros. De prime abord, la route apparaît comme moins cher mais il faut la réhabiliter tous les 7 à 8 ans. Pour le rail, vous pouvez le remplacer au bout de 50 ans. »

Si on prend le cas mauritanien par exemple, la ligne entre Nouadibou et Nouackchott, est directement liée à la recherche de fer et de produits miniers. Toutefois, il existe quelques pays africains où le ferroviaire a pu tout de même voir le jour et se développer comme le Maroc. « Le Maghreb, le Nigéria et l’Afrique du Sud sont particuliers dans le domaine, indique Jeremie Taieb. On le voit avec les projets développés au Maroc par exemple. L’explication est simple. Le Maroc est un Royaume qui a une politique stratégique sur des décennies avec des projets à long terme. Ce n’est pas le cas de pays africains où il y a une alternance tous les 5 ans. Des projets prioritaires ne le sont plus avec un nouveau président ! »

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Un sous-sol riche mais pas de lignes pour autant

De l’autre coté du globe, la Chine a choisi de miser aussi sur le ferré. On les retrouve ainsi sur les futurs lignes marocaines entre Kenitra et Agadir mais aussi sur Addis-Abeba/Djibouti, Lagos/Kano ou dans le corridor de Lobito en Angola.

Cet engouement de la Chine pour le ferroviaire est certes lié à leurs besoins en ressources minières mais également à une stratégie qu’ils ont appliqué sur leur territoire national avec le triplement de la vitesse de transports de passagers en 20 ans. « Le développement chinois dans le rail est spectaculaire et unique au Monde, s’étonne Jérémie Taieb. Ils ont le deuxième réseau ferré mondial qui est le fruit d’une vision stratégique à long terme. En Afrique, en cas de projets ferroviaires, on allait chercher les fonds dans la Libye de Khadafi. La Chine a pris le relais. La plupart du temps, les Etats africains attendaient que les projets viennent des institutions internationales (Banque Mondiale, FMI). Or, ces organismes ne veulent pas financer des voies ferrés qui vont être utilisées par l’Empire du Milieu.»

Des ressources importantes

Pourtant, le continent africain peut compter sur des ressources minières importantes que ce soit pour l’uranium, le fer, le manganèse ou le cobalt mais les grands groupes miniers (Rio Tinto, BHP, Glencore,…) prennent parfois des concessions minières pour empêcher les autres d’exploiter les leurs. « Ces sociétés britanniques ou australo-britanniques ont déjà du minerai de fer de façon très importante. Dans les faits, elles n’ont pas d’intérêt à développer ces mines. Elles leur permettent surtout d’empêcher les autres entreprises de l’exploiter et de se garantir un prix du minerai élevé sur les marchés. Les Etats Africains l’ont compris tardivement ! De plus, à chaque alternance, on reprend les projets depuis le début et cela peut conduire à des discussions vieilles de 10 à 15 ans. »

Dans un climat où les ressources minières font l’objet d’une plus grande concurrence et d’un possible tarissement à terme, les Africains ont intérêt à jouer les uns contre les autres.

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Une coopération France-Chine sur le rail

La construction de la ligne ferré Kenitra-Agadir en est bien le symbole. Si les entreprises françaises ont bénéficié du gain de l’appel d’offres pour la construction des rames par exemple, le Royaume a préféré faire appel à une offre diversifiée avec des sociétés chinoises ou des joint-ventures franco-marocaines.

Cette vision du ferroviaire ouvre la voie à de nouvelles possibilités pour le continent. « Que ce soit Alstom, Vinci ou d’autres, la France possède des fleurons dans cet industrie, indique Jeremie Taieb. La Chine n’a pas de problème à travailler avec les Français dans ce genre de projet. Si elle accepte de le faire avec la France, ce n’est pas uniquement à cause de son industrie. Sa raison principale est le fait que la France détient le contrôle de la monnaie sur le Franc CFA, qui est adossé à l’euro. La Chine qui vise le long terme, sait qu’elle peut commercer dans une autre monnaie que le dollar et d’éviter ainsi les sanctions américaines.»

D’un point de vue économique, le réseau ferré développe le pays plus qu’on ne le croit. Il apporte de la croissance de manière indirecte sur du temps long. De la demande d’électricité qui doit être assurée sur toute la ligne jusqu’au maillage territorial, le rail assure un développement plus uniforme et une production plus décentralisée. « Quand on regarde les productions en Afrique, elles se concentrent dans des capitales congestionnées. L’investissement ferroviaire a plusieurs ramifications et peut rapporter énormément pour des entreprises locales. La Chine l’a fait pour ne plus dépendre uniquement de ces côtes et grandes villes. Le rail a désenclavé les régions rurales chinoises. Pour réussir en Afrique, il faut des chefs d’Etat qui acceptent de travailler pour leur pays sur le long terme. Ils doivent se dire qu’ils ne verront pas les bénéfices dans le court terme mais plutôt dans 10 ou 20 ans.»