Contrôle au faciès : l’Etat condamné, une première, et après ?

 Contrôle au faciès : l’Etat condamné, une première, et après ?

Bocar Niane


 


C'est une première. Hier (24 juin), l'Etat français a été condamné en raison des « contrôles au faciès » opérés par la police. Treize plaignants, victimes de contrôle abusif, avaient porté l'affaire devant les tribunaux. Déboutés en première instance (juillet 2013), ces derniers étaient entendus le 25 février dernier par la courd'appel. La décision rendue, favorable à cinq cas sur treize, est une première victoire qui pourrait en appeler d'autres…


 


En toute illégalité


Tout sourire devant la première chambre de la cour d'appel, les avocats des plaignants rappellent que les « contrôles au faciès » ou contrôles de routine, comme les appellent les policiers, n'existent pas dans le code : « C'est une pratique et elle vient d'être condamnée » se félicite Me Slim Ben Achour. Une condamnation en dommages et intérêts se montant à 1500 euros pour chaque plaignant à qui il a été donné raison. Au-delà du chiffre, la portée symbolique et les répercussions peuvent être déterminantes.


 


Présomption


Pour leur défense, l'Etat et le parquet soutenaient que les règles d'égalité et de discrimination ne pouvaient s'appliquer aux contrôles d'identité. Avec cette condamnation « la cour d'appel a rappelé les principes fondamentaux de l'Etat de droit » selon les avocats des plaignants. Pour obtenir gain de cause, devant la difficulté de prouver un acte discriminatoire, ces derniers se sont appuyés sur la règle d'aménagement de la charge de la preuve : « Les comportements discriminatoires sont opaques aujourd'hui. Les règles européennes disent : pour la discrimination, je vous demande de présenter des indices, ce qu'on appelle une présomption. Je vous demande de prouver que c'est vraisemblable » explique Me Slim Ben Achour.


 


Un signal fort


« Si la première chambre de la cour d'appel, chambre civile sur les libertés, avait confirmé en tout point la décision de première instance, on pouvait de plus en plus parler de racisme institutionnel » indique Me Ben Achour. Un enjeu qui a peut-être également fait pencher la balance au moment de rendre la décision. Quoiqu'il en soit, pour l'association Stop le contrôle au faciès, c'est une grande victoire : « Cinq cas sur treize, c'est beaucoup. C'est une condamnation de l'Etat par la justice française. C'est un signal fort envoyé à l'ensemble des citoyens » indique Bocar Niane, même s'il fait partie des plaignants qui n'ont pas eu gain de cause.


 


Vers un récépissé de contrôle d'identité ?


Concernant les huit cas qui ont été déboutés, la réflexion est en cours pour se pourvoir en cassation. Mais les effets de cette condamnation devraient être visibles et notamment concernant la mise en place d'un récépissé de contrôle d'identité qui pourrait faciliter les procédures, compliquées selon Me Ben Achour : « Aujourd'hui, nous devons prouver que le contrôle existe, qu'il est discriminatoire et que ça constitue une faute grave ». Récépissé ou pas, une brèche est ouverte et il est fort probable qu'un dossier collectif de citoyens s'estimant victimes de « contrôles au faciès » soit constitué à l'avenir.


 


Pas d'euphorie


Une belle victoire mais le combat est encore long : « Espérons que le gouvernement ne sera pas sourd à cette décision comme il l'a été à la décision de la commission des droits de l'Homme qui a déjà condamné la France pour profilage ethnique », tempère Omer Mas Capitolin de la "Maison communautaire pour un développement solidaire" (MCDS), présent devant la première chambre de la cour d'appel. Donc il faut rester prudent même si Bocar Niane note un grand changement pour l'avenir : « Peu de personnes y croyaient, se disant que lorsque l'on porte plainte contre l'Etat, on ne peut que perdre dans ce pays… ». La victoire est possible et ça change beaucoup de choses.


 


F. Duhamel

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