Samuel Thomas : « Ils voulaient tabasser des Marocains »

crédit photo : archives personnelles de Samuel Thomas
14 décembre 2022, demi-finale entre le Maroc et la France lors de la Coupe du monde de football au Qatar. A Paris, une cinquantaine d’individus néo-nazis et d’extrême-droite sont à deux doigts de commettre l’irréparable avant de se faire arrêter par la police. Sur eux, on retrouve armes, gants coqués et barres télescopiques. Grâce à la ténacité de la Fédération de la Maison des Potes et malgré le désistement du Parquet Général, s’est tenu le procès en appel de cette extrême-droite dangereuse. Explications avec Samuel Thomas, le délégué général de la Fédération de la Maison des Potes.
Votre association s’est porté partie civile dans une affaire visant un groupe néo-nazi. Pouvez- vous nous expliquer ce qui était prévu ce 14 décembre 2022 ?
Samuel Thomas : Ce groupe avait préparé une attaque contre les supporters Marocains. Ils souhaitaient aller aux Champs-Elysées pour les tabasser. Avant de s’y rendre, cette cinquantaine d’individus a entamé des chants racistes avec les termes bougnoles, la France aux Français, Bleu, Blanc, Rouge,… Leur objectif animé par l’idéologie raciste était de partir en chasse avec des armes pour aller faire une ratonnade. Leurs cibles étaient les supporters Marocains ou tous ceux qui portaient un drapeau ou un maillot marocain.
Ces actions arrivent après des propos virulents de leaders d’extrême-droite dans les médias
Samuel Thomas : Tout à fait, ils agissaient en service commandé après les propos du sénateur Stéphane Ravier, qui avait demandé que l’on interdise à Marseille, tout drapeau ou maillot marocain. Ils agissaient aussi sur les incitations à la haine raciale de Jordan Bardella, qui avait déclaré qu’il y avait une menace de la part des supporters Marocains. On retrouve aussi ces directives de la part d’Eric Zemmour et de Damien Rieu qui avait parlé dans Causeur, d’une « guerre de civilisation ».
Qui fait partie de ce groupe néo-nazi ? Des skinheads ?
Samuel Thomas : Non, pas du tout. Ce sont des fils de dirigeants d’entreprises, des personnes avec une situation très aisée socialement. Pour beaucoup, ils appartiennent à une église traditionaliste de Paris. Quasiment tous, on fait la campagne d’Eric Zemmour. On compte aussi quelques personnes venues de Rouen et Rennes. Certains d’entre-eux ont tabassé des militants de SOS Racisme pendant un meeting d’Eric Zemmour.
Quels sont leurs profils ?
Samuel Thomas : Certains militent à l’Action Française. Ils ont une admiration pour Hitler. On a retrouvé des photos sur leurs téléphones portables des croix gammées, des photos du dictateur allemand, la croix celtique. Chez eux, il y avait des livres faisant l’apologie du nazisme et des traités militaires avec une croix gammée dessus également. On retrouve aussi pour cette préparation d’attaque des armes de type matraque télescopique, poings américains, genouillères, couteaux, gants coqués, bombes lacrymogènes. C’est ce qui a permis de renvoyer 7 personnes devant la justice pour possession d’armes.
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Des participants faisaient aussi partie d’un club de boxe. Etaient-ils entrainés pour se battre ?
Samuel Thomas : Certains s’entrainent avec Marc de Cacqueray dans une salle de boxe à Paris pour des combats de rues. Il s’agit de mélange de boxe thaïlandaise, MMA et boxe anglaise. Ils font aussi des entrainements dans les champs et à la forêt. Marc de Cacqueray les conviait au combat filmé avec le nom « les fils de Clovis », dans une salle à Belleville à Paris. Même pour des combats sur le ring, ils mettent des cagoules ou des cache-cous pour que l’on ne voit pas leurs visages.
Revenons à cette journée du 14 décembre 2022. Où commence le périple de ces individus ?
Samuel Thomas : Ils ont rendez-vous devant la faculté d’Assas où ils font une distribution de tracts. Il s’agit de documents de la Renaissance du GUD (ce groupe sera interdit en juin 2024, ndlr). Pour beaucoup, ils faisaient partie aussi d’un groupe appelé « les Zouaves de Paris » qui avait été interdit en janvier 2022. Après leur distribution, cette vingtaine d’individus se rend au Jean Bart, un bar près de la gare Saint-Lazare.
Ils sont rejoints par une trentaine d’individus venus de la station Pont-Cardinet.
Samuel Thomas : Sur les caméras de surveillance, on voit clairement qu’ils ont déjà des cagoules sur la tête, des parapluies (alors qu’il ne pleut pas). A 20:00, ils arrivent au bar. A la mi-temps, ils entament des chants nationalistes et racistes au point que des clients quittent le bar. Ils sont venus sur une convocation de Marc de Cacqueray envoyé sur les réseaux sociaux avec le message suivant : « Venez défendre le drapeau français contre les hordes de Marocains. »
A peine le match fini, ils sont arrêtés par la police
Samuel Thomas : La police les repère dés la mi-temps suite à leurs chants nationalistes et racistes. Les policiers sont informés de leur présence au bar. A 21:57, ils se font interpellés sur la base du fait qu’ils sont cagoulés. Les forces de l’ordre découvrent un sac d’armes (bombes lacrymogènes, couteaux, barres, bâtons télescopiques, gants coqués, poings américains,…). Ils suivent aussi les directives du Procureur de la République qui avait fixé un périmètre autour des Champs-Elysées contre toute personne qui était susceptible d’être armée ou de préparer des violences sur les Champs-Elysées. Le périmètre s’arrêtait au 47, rue Jouffroy d’Abbans. Ils se font interpeller au numéro 2 de la même rue.
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Que s’est il passé en première instance ? Pourquoi y a t’il eu nullité et que votre possibilité de participer au procès n’a pas été considéré comme recevable ?
Samuel Thomas : Nous n’avons pas pu avoir voix au chapitre. La justice appuie les arguments des avocats des néo-nazis qui disaient que l’interpellation avait eu lieu, selon eux, en dehors du périmètre et que le sac rempli d’armes n’a pas été placé sous scellé. Le jugement n’était pas logique. Ni valable car ils étaient aux alentours très proches du périmètre. Des pièces du dossier indiquent que s’agissant de Marc de Caqueray, le flagrant délit de possession d’armes est à l’origine de son arrestation et non pas le périmètre du procureur.
Y avait il d’autre motif d’interpellation valable ?
Samuel Thomas : Le motif d’interpellation pour visage camouflé n’a pas été retenu comme mofif légitime d’arrestation. Or, il l’est ! De nombreux arrêts de la Cour de Cassation le prouvent. En ce qui nous concerne, le jugement estimait que nous ne pouvions pas évoquer le délit de préparation de violences armées ce qui est totalement faux. Après le premier jugement, le Parquet était vent debout contre la décision et a fait appel. Au mois de février 2024, le parquet général était toujours aussi déterminé sur cette affaire.
Comment expliquez-vous alors que le Parquet Général se soit désisté au procès du 7 février 2025 ?
Samuel Thomas : L’extrême-droite a pris une part importante à l’Assemblée Nationale. De plus, le gouvernement fait une alliance avec la droite la plus radicale en nommant Bruno Retailleau à l’Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice. Ce désistement est politique et non du fait de la qualité de la procédure. Contrairement à ce qu’a écrit l’AFP, il n’y a pas eu un seul motif de désistement. Avec nos cinq avocats, nous avons du remplacer le Parquet. Nous défendons l’intérêt général en disant que la police avait très bien fait son travail, que les procédures étaient parfaites, que les personnes pouvaient largement être condamnées sur la base des documents trouvés lors des perquisitions, des armes en leur possession, etc…
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Quelles sanctions peuvent subir les inculpés ?
Samuel Thomas : 150 000 euros de dommages et intérêts que nous réclamons. Le jugement sera rendu le 21 mars, qui correspond à la journée internationale contre le racisme. Avec le désistement du Parquet Général, ils n’encourent plus de peine de prison ou d’amende. Sans l’intervention de la police, il y aurait eu des Marocains morts ou blessés. C’est un délit d’une extrême gravité. C’est le même état d’esprit que l’on retrouve dans le procès du Bastion Social à Lyon. En Juillet 2019, des néo-nazis tapaient les voitures de femmes, de mères avec leurs enfants en bas âge et supportrices algériennes à coup de batte de baseball et de barres en métal.
Avec la libération de la parole d’extrême-droite, les groupes néo-nazis se sentent-ils plus libres ?
Samuel Thomas : Ces gens vivent dans une idéologie d’une extrême radicalité. De notre coté, on vit la décision du Parquet Général de se désister comme une décision politique. Cela les encourage à continuer. Tout le long de l’année, on fait remonter de nombreuses plaintes au procureur de la haine en ligne ou au parquet antiterroriste, sans aucune réaction. Des dizaines de milliers d’individus nommément identifiés pour leur propagation des messages incitant à la haine sur les réseaux sociaux sont envoyés aux procureurs. La justice estime qu’il y en a trop. Du coup, elle capitule. A Toulouse, nous avions poursuivi une agence immobilière qui refusait des appartements aux étrangers. Nous voulions qu’on poursuive aussi les 250 propriétaires de biens. Cela n’a pas été possible car le commissaire a indiqué ne pas avoir les effectifs nécessaires.
Comment peut-on agir contre cet état de fait ?
Samuel Thomas : Le travail mené par la Maison des Potes, le MRAP, la LICRA, SOS Racisme,… est important. Nous avons le droit d’agir en justice mais on est en train de nous couper la quasi totalité de nos subventions étatiques. On le voit aujourd’hui aussi avec la CIMADE qui aide les migrants. On a besoin de moyens pour mener ses combats. Nous n’arrivons à tenir que grâce à la générosité de nos donateurs.