L’Ukraine divise la France

Paris, le 27 mars 2025, au Palais de l’Élysée : Emmanuel Macron, Volodymyr Zelensky et Keir Starmer lors d’une réunion trilatérale en marge du sommet pour la « coalition des volontaires » en soutien à l’Ukraine. (Photo par Ludovic MARIN / POOL / AFP)
Entre Emmanuel Macron et les généraux, la rupture semble consommée. Alors que le premier multiplie les initiatives pour montrer qu’il a fait du dossier de l’Ukraine une affaire personnelle, allant jusqu’à annoncer la mise en place d’un « conseil de défense et de sécurité » commun et d’un « programme commun d’innovation de défense » avec les Allemands, suite à la menace de Trump d’abandonner l’Ukraine, les seconds n’hésitent plus à donner de la voix pour alerter sur une politique qui leur semble désormais préjudiciable à la France.
À l’issue de sa rencontre avec Friedrich Merz, Emmanuel Macron a précisé vouloir établir « un programme commun d’innovation de défense, pour permettre les innovations de rupture nécessaires à la guerre de demain ».
Autrement, le président français est décidé à en découdre avec Vladimir Poutine à travers une réponse commune avec les Allemands, à défaut d’avoir réussi à embarquer toute l’Europe dans son hubris. En tout cas, le soutien inconditionnel à Zelensky, les généraux n’en veulent pas, et ils disent haut et fort qu’ils ne voient pas cet activisme d’un bon œil, d’où la tribune signée par plusieurs gradés qui « exige une consultation du Parlement sur l’engagement français en Ukraine ».
Mise en ligne par le site Place d’Armes, la « Résolution citoyenne relative à l’engagement militaire et financier de la France en Ukraine » s’adresse aussi bien aux militaires qu’aux citoyens et les appelle à « réclamer le respect de la souveraineté populaire, et que le Parlement puisse se prononcer sur les accords de sécurité franco-ukrainiens », dont la nécessité pour l’exécutif de rendre publiques les informations officielles qui détaillent la présence de troupes françaises en Ukraine. Selon ses auteurs, la tribune a recueilli près de 30 000 signatures, dont celles de généraux illustres qui ont travaillé à la DRM ou à CAE Aviation.
Ce n’est pas la première fois que les gradés croisent le fer avec Emmanuel Macron sur la question de l’Ukraine. Les hauts gradés qui donnent de la voix, n’hésitant pas à saisir l’Assemblée nationale par voie d’huissier pour que les députés mettent leur veto à un interventionnisme dangereux pour l’Hexagone, ne sont pas n’importe qui, puisqu’on trouve aussi bien des généraux d’armée comme Bertrand de Lapresle ou Jean-Marie Faugère, des généraux de corps d’armée tels que Maurice Le Page, des généraux de division comme Philippe Chatenoud, ou encore des généraux de brigade, sans compter un bon paquet de colonels et autres commandants.
En attendant, le président français semble sourd aux inquiétudes de ses soldats puisque la France vient juste d’accorder une nouvelle aide de deux milliards d’euros à l’Ukraine. Un montant promis par Emmanuel Macron à un Volodymyr Zelensky, accueilli en héros à l’Élysée le 26 mars dernier.
Au cours de sa visite, Zelensky a eu droit à une émission spéciale avec les médias de l’Union européenne de radiodiffusion, au musée de l’Homme à Paris, où le président ukrainien s’est lâché en déclarant que l’Amérique « se trouve aujourd’hui sous l’influence du narratif russe et nous ne pouvons l’accepter ». Il faut, a-t-il ajouté, que « les leaders européens parlent avec Trump, que le cercle autour de Trump soit le plus large possible ».
Sans avoir aucune sympathie pour l’ex-chef du KGB qui tient Moscou d’une main de fer, le doute méthodique nous impose de nous interroger sur cette volonté, envers et contre tous, du chef de l’État de ponctionner dans un budget déjà bien malmené par la crise économique pour engager l’Hexagone dans une guerre qui n’est pas la sienne. Un entêtement d’autant plus malaisé à expliquer aux Français que la France n’a plus ce statut de puissance que lui conférait l’héritage de l’après-guerre, et ce, au moment où son déficit de puissance économique voit son influence également réduite, au point où elle est même contestée en Afrique du Nord, dans ces pays où fleurit l’oranger. Toujours est-il que le rapprochement fatal – de quelque forme qu’il soit – entre la France et l’Ukraine devrait empêcher les Français de dormir, surtout au moment où de nombreuses voix ne cessent d’alerter sur les dangers de cet alignement, quand les incertitudes demeurent nombreuses, de la menace économique de Donald Trump au désengagement militaire américain en Europe, qui sont plus certains que la survenue d’une issue tragique au destin de Poutine.