Deux des plus grands artistes de la scène rap tunisienne sont désormais en prison

A.L.A et Samara
Un juge d’instruction du tribunal de première instance de Ben Arous a émis le 28 juillet 2025 un mandat de dépôt visant le rappeur Ala Ferchichi, alias A.L.A de son nom d’artiste, après avoir été auditionné en présence de plusieurs avocats de la défense.
A quelques mois d’intervalle seulement après l’incarcération en février dernier du rappeur Semah Riahi, alias Samara, dans une affaire similaire liée au présumé trafic de stupéfiants, il s’agit ainsi du deuxième plus grand nom du rap hip-hop du pays à être interpelé par la brigade des « stups ». Une détention préventive qui peut durer jusqu’à 14 mois, en attendant leurs procès respectifs.
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Le rappeur A.L.A a en effet été arrêté durant la soirée 25 juillet 2025 par des agents de la Garde nationale dans le cadre d’un « démantèlement d’un réseau de trafic de drogue », a-t-on appris, alors qu’il se dirigeait vers Tataouine, dans le sud tunisien, où il était attendu ce soir-là à un festival international où son absence inexpliquée dans premier temps a été source de confusion et de spéculations diverses. Plusieurs individus ont également été arrêtés par ce coup de filet et d’autres ont été placés sur la liste des personnes recherchées dans du même dossier.
La figure du gangster, du mythe à la réalité
Pour certains détracteurs des deux chanteurs qui ne cachaient pas leur hostilité au type d’univers récurrent de leurs textes, il s’agit ironiquement d’une sorte de prophétie auto réalisatrice. Mais de là à prédire que la figure fictive et souvent glorifiée par ce rap du gangster, bandit semi repenti, via les leitmotivs de la prison et de la mère déçue, devienne une réalité qui dépasse la fiction, il y a un pas que les plus perspicaces des visionnaires n’auraient pu prédire.
Comment en est-on donc arrivé là ? Les autorités veulent-elles faire de ces deux icones un exemple ? Quoi qu’il en soit, il est clair que bien que discret, l’effort mis en œuvre par l’actuel pouvoir dans la lutte anti narco-trafiquants bat son plein. Depuis la fin 2024, le ministère de l’Intérieur tunisien se prévaut de mener dorénavant des opérations majeures où ne sont plus arrêtés des dizaines mais des centaines d’individus à la fois. Très présent dans les médias, le porte-parole de la Garde nationale, Houssemeddine Jebabli, se félicite d’un taux de réussite avoisinant les 100% des objectifs fixés relatifs aux barons de la drogue, spécialement ceux de la banlieue sud de la capitale.
Toutefois, au-delà de cette volonté politique, pour d’autres observateurs le cas spécifique de A.L.A serait plus complexe, dans la mesure où le rappeur a probablement aussi fait les frais en tant que dégât collatéral de certaines guerres des clans que se livreraient diverses polices. Parmi celles-ci, l’arrière-garde en perte de vitesse de l’ancien ministre de l’Intérieur de septembre 2020 à janvier 2021 puis d’octobre 2021 à mars 2023, Taoufik Charfeddine, tombé en disgrâce après avoir été démis de ses fonctions.
Le jeune fils de ce dernier s’est ainsi régulièrement affiché aux côtés du rappeur A.L.A, avec un accès privilégié aux sulfureux coulisses de ses concerts placardé sur les réseaux sociaux. Une situation atypique qui a conféré un temps à l’artiste un statut d’intouchable, ce qui n’a pas manqué d’agacer en haut lieux.
Originaire d’Ezzahrouni, faubourg de Tunis où il a grandi, A.L.A a entamé sa carrière dans le rap avec le collectif Zomra, puis a lancé sa carrière solo depuis 2017. Prise de conscience sincère ou motivée par un pressentiment, dans son dernier clip en date intitulé « L.V.L 15 » mettant en scène des adolescents, mis en ligne il y a 9 jours et totalisant déjà des millions de vues, A.L.A évoquait sa « responsabilité inédite » inhérente à son statut d’idole dont les paroles sont écoutées y compris par les plus jeunes.
