Poutine, l’autocrate patient qui joue aux échecs

 Poutine, l’autocrate patient qui joue aux échecs

Ramil Sitdikov / SPUTNIK / AFP

Entre mythe et réalité, Poutine continue à jouer aux échecs en géopolitique pour tenter de réaliser ses vieux rêves russophages.

Depuis un quart de siècle, Vladimir Poutine façonne la Russie comme un joueur d’échecs façonne une partie longue et silencieuse, avec une vision stratégique, une patience calculée et une absence totale de scrupules sur la nature des coups à jouer. Ancien officier du KGB devenu président en 2000, il a méthodiquement concentré le pouvoir entre ses mains, neutralisé les contre-pouvoirs, domestiqué la justice et la presse, remodelé la Constitution (réforme de 2020) pour prolonger son mandat jusqu’en 2036, et imposé un système où la légitimité électorale se confond avec la mise en scène d’une démocratie vidée de substance. Il est de la race des dictateurs purs et durs. Son règne repose sur une combinaison d’autoritarisme assumé, de nationalisme exacerbé et de propagande omniprésente. Malgré les sanctions internationales, les guerres et les crises internes, Poutine conserve une popularité impressionnante, jusqu’à 86 % en 2025, en propageant un mythe récurrent : la Russie serait une forteresse assiégée par l’Occident, menacée dans son identité et sa souveraineté. Maître dans l’art de manipuler la mémoire collective, il ressuscite les symboles impériaux et soviétiques, exalte la « Grande Guerre patriotique », institue dans les écoles des cours de patriotisme et militarise l’éducation des jeunes générations.

Chaque pièce de son échiquier est un instrument utile. Les médias contrôlés façonnent la perception du réel, l’opposition est marginalisée ou éliminée (comme l’a montré le sort d’Alexeï Navalny), et l’histoire est réécrite pour légitimer son projet de restauration d’une Russie impériale. Poutine joue aussi sur plusieurs registres. En politique intérieure, il sait récompenser la loyauté des élites tout en sanctionnant les déviations. En politique extérieure, il avance ses pions en Crimée (2014), en Ukraine (2022), en Syrie, et à travers un réseau d’alliances avec la Chine, l’Iran et d’autres puissances désireuses d’un monde multipolaire. Pragmatique, il ajuste ses stratégies aux circonstances. Face aux sanctions, il tourne l’économie vers l’Asie ; face aux défis militaires, il mobilise la société et renforce le contrôle idéologique. La rébellion avortée du groupe Wagner en 2023 a illustré à la fois la fragilité et la persistance de son système. Fragilité, car les fissures dans l’appareil sécuritaire existent ; résilience, car il a su absorber le choc, redistribuer les cartes et éliminer toute menace directe.

Ce style de gouvernance s’apparente moins à une partie rapide qu’à un patient jeu d’échecs. Ses avancées sont lentes, ses sacrifices sont calculés, et ses objectifs finaux clairs et déterminés. Il s’agit de garantir que le roi-Poutine lui-même reste intouchable.

Poutine nargue les Occidentaux par une combinaison de gestes symboliques, de provocations calculées et de stratégies de communication qui visent à montrer qu’il n’est ni intimidé ni isolé, même sous sanctions (il est poursuivi par la Cour pénale internationale) et pression diplomatique. Dans ses discours, il utilise un ton ironique ou condescendant envers les dirigeants occidentaux, Américains et Européens (Macron surtout), soulignant leurs divisions, leur « hypocrisie » ou leur « déclin ». Il renverse ainsi les accusations face aux critiques sur l’Ukraine, en rappelant les interventions américaines en Irak ou en Libye, insinuant que l’Occident colonisateur et impérial n’a pas de leçons à lui donner. Il se montre aux côtés de dirigeants considérés comme « parias » par l’Occident (Kim Jong-un, Bachar al-Assad) pour prouver qu’il a encore des alliés. Il visite des zones occupées ou organise des défilés militaires spectaculaires, comme pour signifier que la guerre ne l’affaiblit pas. Il utilise les forums internationaux pour détourner l’attention ou marquer des points, par exemple en se plaçant comme défenseur d’un « monde multipolaire » face à l’hégémonie occidentale. Il signe des accords énergétiques et militaires avec des pays non occidentaux (Chine, Inde, pays africains) juste au moment où l’Europe cherche à l’isoler. Il recourt à des médias internationaux (RT, Sputnik) et aux réseaux sociaux pour propager un discours anti-occidental, souvent en mêlant faits, exagérations et sarcasme. Il met en avant la crise énergétique ou l’inflation en Europe comme une conséquence directe de la politique occidentale de sanctions.

En somme, narguer les Occidentaux pour Poutine n’est pas seulement un acte d’ego, c’est un outil politique. Il cherche à montrer à son opinion publique qu’il tient tête aux puissances occidentales, tout en semant le doute et la discorde au sein de ces dernières. Il a été ces jours-ci reçu par Trump en Alaska pour examiner la guerre en Ukraine. En quête de prix Nobel de la paix, Trump lui a déroulé le tapis, en conférant à l’agresseur de l’Ukraine des titres de respectabilité. Comme si le change était prix Nobel contre abandon de l’Ukraine à la Russie.

Mais à force de jouer ainsi, il a enfermé la Russie dans une posture de confrontation permanente, avec un coût économique, diplomatique et humain non négligeable. Sa patience, qui est sa force, pourrait aussi devenir sa faiblesse. En attendant, Poutine continue à déplacer imperturbablement ses pièces, convaincu que l’Histoire finira par lui donner raison, ou du moins que le temps, cet allié des joueurs patients, sera son dernier atout.

 

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