Chine, Le Xinjiang, camp d’internement géant

 Chine, Le Xinjiang, camp d’internement géant

crédit photo : Johannes Eisele /AFP


Dans la région autonome du nord-ouest de la Chine, la minorité Ouïgour vit dans la crainte et la surveillance constante. Prétextant la lutte contre le terrorisme, Pékin souhaite “siniser” cette population turcophone et musulmane, et recourt à l’enfermement. 


Caméras mobiles positionnées dans la moindre ruelle, postes de police et checkpoints obligatoires, agents en civil qui s’invitent dans le salon des citoyens jugés douteux… Au Xinjiang, région située au nord-ouest de la Chine, “les 11 millions de Ouïgouras vivent dans une prison à ciel ouvert”, explique Angélique Forget, au début de Ouïgours, à la force des camps. Dans ce récent documentaire, réalisé avec Antoine Védeilhé, les deux journalistes filment une population épiée, toujours sous la crainte d’être conduite, selon le vocable de Pékin, vers ces mystérieux “centres de rééducation”, ces “écoles”, grâce auxquelles elle pourrait se raisonner et devenir des “citoyens chinois exemplaires”. Mais de ces lieux, que les journalistes n’ont pu filmer que de l’extérieur – ayant été interdits d’y pénétrer –, rares sont ceux qui ressortent indemnes.


“Camp de concentration”


Bordés de miradors et de murs rehaussés par des barbelés, ces établissements fermés, légalisés par ­Pékin en octobre 2018, sont le cauchemar quotidien d’au moins 1 million de Ouïgours, selon plusieurs études diligentées par les Nations unies, voire de 3 millions d’individus, pour le secrétaire adjoint américain à la Défense, Randall Schriver, qui parle de “camp de concentration”.


Au total, selon les estimations, environ un dixième de la minorité turcophone et à majorité musulmane est maintenu en détention. A l’intérieur de ces prisons, ­différents moyens de torture sont appliqués : récitation d’hymnes à la gloire du Parti communiste chinois, privation de nourriture, coups, isolement, surpopu­lation carcérale et même injections mortifères. “C’est comme si nous étions des morceaux de viande ­posés là”,témoigne, dans le documentaire, une victime qui recevait un produit à la composition encore inconnue. Contactée, ­Angélique Forget ajoute : “Dès que le sujet des camps était évoqué, les Ouïgours que nous avons interrogés se muraient dans le silence. La peur se lisait dans leurs yeux.”


Politique de destruction ethnique


“Un camp d’internement géant”, c’est ce qu’est devenu le Xinjiang, territoire grand comme trois fois la France, selon les mots prononcés par la vice-présidente du ­Comité des Nations unies pour l’élimination de la haine raciale, Gay McDougall, le 10 août 2018. A plus de 3 000 kilomètres de Pékin, la région, riche en matières premières, n’a pas toujours été sous le giron répressif du Parti. Mais avec l’éclatement de l’URSS, les autorités chinoises ont eu peur d’une éventuelle sécession.


Pour Mehmet Tohti, juriste et cofondateur de l’association Congrès mondial Ouïgour, commence alors “une politique dite d’assimilation, qui est en fait une ­destruction de notre culture, de notre langue, de notre identité religieuse”.(1) Cette domination passe par le changement de l’équilibre ethnique dans la région : en 1949, les Ouïgours représentaient 80 % de la population, contre 4 % pour les Hans – l’ethnie majoritaire dans le reste de la Chine. En 2014, selon la dernière recension officielle, le rapport a considérablement changé : les Hans représentent 40 % et les Ouïgours 47 %.


Initiée à partir des années 1990, la politique de contrôle des minorités musulmanes au Xinjiang s’est renforcée après d’importantes émeutes en 1997, mais surtout avec les attentats du 11 septembre 2001. La ­dernière révolte de 2009 à Urumqi, la capitale du ­Xinjiang, a marqué un tournant. Les autorités chinoises, plus fortes d’un point de vue économique, décident de faire de cette province autonome, aussi appelée Turkestan oriental, un laboratoire de la techno-sur­veillance. D’abord concentrée sur les individus les plus vindicatifs – certains d’entre eux ayant plus tard ­rejoint Daech et Al-Nosra –, cette politique de répression s’étend rapidement à l’ensemble de la population. Un document officiel, repéré par le magazine amé­ricain The Foreign Policy, dévoilait ainsi une liste de 75 signes de radicalisation réalisée par le Parti, ­parmi lesquels, le fait de “porter une barbe”, ou celui “d’arrêter de boire ou de fumer”.


L’arrivée de Chen Quanguo au poste de secrétaire ­régional du Xinjiang, en août 2016, sonne ensuite le glas pour de nombreux Ouïgours. Jusqu’alors en poste au Tibet, l’autre région dont la population est réprimée par Pékin, l’homme est connu pour avoir été un gouverneur particulièrement violent. Il confirme sa réputation en participant à la construction de nombreux camps de “rééducation” – il en existerait une centaine selon l’ONU.


Il mobilise également de nouvelles techniques de contrôle, dénoncées régulièrement par Human Rights Watch. Dans son rapport réalisé en mai 2019, l’ONG dénonce “la collecte de nombreuses informations, qui vont du groupe sanguin d’un individu à sa taille, ainsi qu’à son affiliation politique ou religieuse”. L’enquête a pu révéler l’existence d’une plateforme policière, l’IJOP, qui permet de “surveiller les mouvements de personnes en localisant leurs téléphones, ­véhicules et cartes d’identité, les consommations d’électricité et de carburant des habitants”, créant ainsi une “série de clôtures invisibles ou virtuelles”.


Des pressions par-delà les frontières


Cette “surveillance 2.0” dépasse les frontières. A l’instar du poète et linguiste Abduweli Ayup (lire son interview p. 18), la très grande majorité des Ouïgours vivant à l’étranger, que ce soit en Turquie, où ils sont environ 50 000, ou le millier qui réside en France, est concernée par différents moyens de pression. “La police peut envoyer ­directement des messages sur WeChat, l’équivalent de Facebook en Chine. Elle peut passer aussi par la famille, qui les écrit sous contrainte. Si l’exilé ne fournit pas les informations demandées, ses proches risquent d’être emprisonnés”, explique Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut des Ouïgours d’Europe, et elle-même sans nouvelle de ses proches.


La chercheuse a dénoncé dans une tribune récente “le silence complice” des pays musulmans. Une majorité d’entre eux sont concernés par les “nouvelles routes de la soie”, cet immense projet commercial lancé par la Chine(2). Un chantage économique s’ajoute-t-il à la surveillance généralisée des Ouïgours ? 


 


Voir aussi : 


Abduweli Ayup : "Les Ouïgours subissent un lavage de cerveau"


 


(1) “Ouïgours : les camps secrets du régime chinois”, Libération, 29 août 2018.


(2) “Monde musulman, je ne vous souhaite pas un bon ramadan”, L’Obs, 20 mai 2019.

Hugo Boursier