La haine de l’autre, ça se déconstruit

 La haine de l’autre, ça se déconstruit

crédit photo : J-C Domenech/MNHN


Le Musée de l’Homme, à Paris, a mis en scène une exposition qui explore la genèse des stéréotypes porteurs de xénophobie et retrace les origines historiques de ce mal.


Le racisme se banalise-t-il ? Les paroles xénophobes sont-elles moins dérangeantes aujourd’hui qu’hier ? Quand et comment l’homme en est-il arrivé à rejeter l’autre ? Voilà autant de questions auxquelles tente de répondre l’exposition “Nous et les autres, des préjugés au racisme”, qui a eu lieu au Musée de l'Homme.


Si certains chercheurs relèvent des relents xénophobes dès l’Antiquité, la plupart des historiens s’accordent à dire que c’est la volonté de domination d’une partie de l’Europe sur des ­territoires d’outre-Atlantique à l’époque moderne qui est décisive dans la ­fabrique de la haine d’autrui. “Le racisme naît de la violence et de la domination de la mise en esclavage de populations. Il est né pour ­justifier ces violences”, déplore l’historienne Mathilde Larrère.


 


Référence aux théories raciales nazies


Quant au terme “racisme”, sa première occurrence remonte au début du XXe siècle. “Il sert à évoquer les théories raciales nazies dans les années 1920-1930. A ce moment, un certain nombre d’intellectuels et d’anthropologistes français cherchent à réfuter les théories qui se présentent comme scientifiques en Allemagne, et qui affirment qu’il y a une race juive et une race aryenne supérieure aux autres. Ils fondent une revue, Races et racisme, dont l’objectif est de démontrer l’absence de supériorité d’une race sur les autres”, explique Carole Reynaud-Paligot, historienne et commissaire scientifique de l’exposition du Musée de l’Homme.


On se réjouit de savoir que l’apparition du terme “racisme” est concomitante à celle du mot “antiracisme” ; on déchante, en revanche, quand on apprend que cette mouvance intellectuelle, unanime pour combattre l’antisémitisme, a une position “plus ambiguë sur le racisme de couleur”, comme le souligne Carole Reynaud-Paligot. “Certains de ces scientifiques, s’appuyant sur le courant ­raciologiste, continuent de penser et même à enseigner que les races noires sont inférieures aux races blanches. Ce n’est que dans les ­années 1950-1960, avec l’émergence des mouvements de décolonisation, qu’apparaît un antiracisme refusant la hiérarchisation entre civilisations”, poursuit-elle.


 


Esclavage, ségrégation


L’exposition, qui s’articule autour de trois volets, commence par explorer les idées reçues et les préjugés à l’égard des autres. L’objectif est de comprendre comment s’élaborent les processus de catégorisation qui peuvent mener au racisme en faisant ­passer le visiteur par des portiques d’aéroport. La deuxième ­partie se penche sur la construction scientifique de la notion de “race” et s’appuie sur trois exemples historiques pour illustrer la manière dont les Etats ont institutionnalisé le racisme. Ainsi, aux Etats-Unis, la Constitution, prônant liberté et égalité, qui entre en vigueur en 1789, ne remet pas en cause l’esclavage qui ne sera officiellement aboli qu’en 1808… pour laisser place à la ségrégation qui perdurera jusqu’en 1964.


 


De la différence biologique à la différence culturelle


Comment des régimes qui se disent démocratiques peuvent-ils mettre en œuvre des systèmes discriminants ? “Des savants engagés dans une démarche classificatoire utilisent la notion de ‘race’ pour lire la diversité humaine et produire une pensée hiérarchisante et inégalitaire. Ce ne sont pas des scientifiques qui se sont mis au service des politiques, mais c’est un imaginaire commun qui s’est mis en place dans le cadre d’un grand mouvement de domination des sociétés européennes sur les sociétés africaines et américaines. Si ce système est opérant avant l’avènement des démocraties, aux XVIIe et XVIIIe siècles, plus tard, quand ces sociétés se démocratisent, on ­aurait pu imaginer qu’elles deviennent antiracistes, mais ce n’est pas le cas”, admet Carole Reynaud-Paligot. Le passage à un système démocratique ne garantit pas une société antiraciste “parce qu’il y a eu des acteurs qui ont eu intérêt à maintenir les anciennes représentations pour conserver leur suprématie économique”.


Dans ce deuxième volet, un film, illustrant le phénomène de la ségrégation aux Etats-Unis, montre “comment les anciens propriétaires d’esclaves activent les sentiments racistes des ouvriers blancs pour éviter qu’ils ne s’allient aux anciens esclaves devenus ouvriers et qu’ensemble ils luttent pour de meilleures conditions de travail”.


La troisième partie de l’exposition pose la question du racisme aujourd’hui, qui ne prend plus pour prétexte des différences biologiques mais culturelles. Certes, le racisme institutionnalisé est révolu, mais, malgré les sanctions prévues par la loi, on continue de déplorer les agressions verbales et physiques à ­caractère raciste.


Pour mieux cerner les mécanismes en jeu aujourd’hui, les commissaires de l’exposition ont donné la parole à des chercheurs. “Le sociologue Abdellali Hajjat s’est penché sur le ‘problème musulman’, apparu dans la société française pour montrer le jeu des différents acteurs – politiques, médias, intellectuels, etc. –, qui considèrent que la catégorie “musulmans” pose problème, explique Carole Reynaud-Paligot. Son confrère, Jérôme Berthaut, s’est intéressé, lui, au traitement du ‘jeune de banlieue’ par les journaux ­télévisés. Il a mis en exergue les logiques professionnelles qui participent à l’émergence du ‘jeune’ de quartier populaire tel qu’il est stéréotypé aujourd’hui.”


 


Appel à la vigilance


Le parcours se termine sur une installation géante figurant le mot “égalité” en 3D. Le visiteur quitte l’exposition avec, dans les oreilles et dans les yeux, le son et les images des nombreuses marches citoyennes pour l’égalité et contre le racisme. Comme une invitation à se joindre au mouvement en étant un acteur ­vigilant. “En partant, on aimerait que le public se dise que le racisme ne vient ni d’en haut, ni d’en bas mais des deux côtés. Que chacun a un devoir de vigilance à l’égard des différents acteurs qui véhiculent les stéréotypes et que l’Etat n’a pas une volonté si ferme de lutter contre le racisme. En tant qu’acteur, chaque citoyen a un rôle à jouer : il peut participer, s’opposer ou attendre que cela passe”, conclut Carole Reynaud-Paligot. 


 


La suite du dossier : 


Contre les clichés, le rire


Autopsie du racisme ordinaire


Extension du domaine de l’insulte


Au cœur de la fachosphère


Antiracisme : Les nouveaux visages de la lutte

Fadwa Miadi