Au coeur de la fachosphère

 Au coeur de la fachosphère

Dominique Albertini


Fdesouche, Riposte laïque, TV Libertés… Les sites internet de propagande d’extrême droite prolifèrent depuis plusieurs années. Ils captent un public toujours plus important. Et méprisent allègrement les faits.


“La fachosphère désigne une extrême droite qui s’est emparée d’internet pour en faire un instrument de propagande puissant et efficace”, analyse Dominique Albertini, journaliste et coauteur avec David Doucet de La Fachosphère. Comment l’extrême droite remporte la bataille du Net.


Eclatés en myriade de groupuscules (identitaires, catholiques traditionalistes, nationalistes révolutionnaires…), les courants d’extrême droite se multiplient pourtant sur un socle commun. Dominique Albertini en livre la teneur, selon eux : “Pour que la société soit vivable, elle doit être homogène sur le plan culturel, voire sur le plan ethnique.” Grâce à un anonymat qui libère la parole et un format qui permet une large diffusion à faible coût, internet leur offre un terreau favorable. Locomotive de ces sites d’extrême droite, le fameux Fdesouche, fondé en 2005 par Pierre Sautarel, un trentenaire passé comme beaucoup par le Front national (FN). Chaque jour, le portail diffuse des articles anxiogènes sur l’immigration et l’islam, avec des faits rigoureusement sélectionnés pour servir la cause extrémiste. “Ils ne retiennent que les aspects négatifs de l’immigration, présentée comme un phénomène uniquement dangereux, menaçant, dont il faudrait se débarrasser”, ajoute Dominique Albertini.


 


“Ali” Juppé et “Farid” Fillon


Un filon porteur, exploité par bon nombre : Egalité & Réconciliation, porté par Alain Soral, un ancien du FN, mais aussi Novopress, Riposte laïque, le think tank identitaire Polémia, TV Libertés (une chaîne tenue aussi par un ex-FN)… La mouvance catholique traditionnelle a également ses porte-voix avec Salon beige ou le portail Nouvelles de France, tous deux dirigés par Guillaume de Thieulloy, ancien collaborateur de Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille.


Et l’influence de cette fachosphère ne cesse de croître. Alain, ou plutôt “Ali”, Juppé en témoignait après la primaire de la droite et du centre : “Cela m’a fait incontestablement perdre des voix.” Le dénigrement du maire de Bordeaux durant sa campagne, soupçonné de connivence avec l’islam radical et apparaissant avec une longue barbe sur de nombreuses photos, aurait pesé dans le vote des militants. “Farid” Fillon lui a succédé. Le vainqueur de la primaire a été taxé de “pro-muslim” pour avoir inauguré une mosquée, en qualité de Premier ministre, en 2010. Cela pourrait prêter à sourire tant la supercherie semble énorme. Mais le buzz fonctionne à merveille.


 


Une audience plus forte que Mediapart


Et les personnalités ne sont pas les seules visées. L’extrême droite veut alimenter par tous les moyens la peur de l’étranger (souvent musulman ou Rom). Sur Facebook, Stéphane K. a posté une photo d’une petite fille blanche qui aurait été défigurée par un musulman en raison de sa couleur de peau, il s’agissait en réalité de morsures de chien. De son côté, Riposte laïque a publié le cliché d’une fausse muselière islamique, se demandant si elle allait bientôt arriver dans nos banlieues…


Malgré ses grossières tentatives d’intox, les chiffres montrent que la fachosphère gagne du terrain chaque jour. En 2012, elle représentait 14 % des sites politiques disponibles sur le web, en troisième position derrière les sphères de gauche (46,8 %) et de droite (18,1 %), selon Linkfluence. En 2016, le site de statistiques Alexa dévoile que seize d’entre eux se classent parmi les 30 plateformes politiques les plus consultées en France. Plus troublant encore, le site Egalité & Réconciliation attire davantage d’internautes que Mediapart. Entre 2007 et 2013, pour Linkfluence, la fachosphère est “le milieu qui a le plus progressé sur internet”.


Alors, peut-on affirmer que l’extrême droite a gagné la bataille du web ? “On le dit dans le livre, mais c’est un peu exagéré, elle est toujours en train de se mener. L’extrême droite a pris l’avantage, mais il y a un phénomène de rattrapage qui se met en place avec d’autres milieux politiques, qui se rendent compte qu’internet n’est pas un terrain à délaisser. C’est ici que demain les idées seront produites. Ne pas y être, c’est se condamner d’avance à perdre la bataille des idées”, alerte Dominique Albertini.


 


Le Front national en embuscade


Influente et prosélyte, la fachosphère permet en sous-main au FN de nourrir en ligne ses vieilles antiennes sans se départir de sa nouvelle image de parti dédiabolisé. Peut-elle aider Marine Le Pen à accéder au pouvoir ? Dominique Albertini doute : “Internet renforce les gens dans leurs convictions, mais je ne suis pas certain que beaucoup basculent d’un camp à l’autre uniquement pour cela.” Une réalité qui, selon lui, risque d’évoluer dans les années à venir: “Aujourd’hui, ce sont encore les médias traditionnels qui font l’opinion, en revanche, je pense que pour la prochaine élection, c’est sur la toile que la campagne se jouera.” 



LA FACHOSPHÈRE, Dominique Albertini & David Doucet, Flammarion, 302 p., 20,90 €.


 


La Chasse aux "rumeurs"


Sur le site Debunkersdehoax, une communauté de citoyens s’attelle à démystifier la propagande d’extrême droite sur le Net. Et ce n’est pas une mince affaire tant la fachosphère ne se ménage pas pour véhiculer son discours de haine et de mensonges. Tout y passe, des photos truquées (une ministre tunisienne voilée à la place de celle de Sihem Souid, alors conseillère de Christiane Taubira au ministère de la Justice), aux informations bidonnées, comme sur le blog Mediapress 75, affirmant que “les Roms touchent 35 euros par jour sans rien faire” ou que des “cours d’arabe obligatoires (sont donnés) dans une école primaire de Cherbourg”, en réalité facultatifs.


Non contents de dénoncer et de répertorier ces supercheries, ces citoyens vigilants prodiguent aux internautes des conseils avisés pour ne plus tomber dans le panneau : regarder et vérifier les sources, copier-coller les premiers mots du titre sur Google et, surtout, se méfier des photos qui font parfois l’objet d’habiles montages. Pour cela, en cliquant sur l’appareil à droite du champ de Google Images, vous pouvez faire une recherche en téléchargeant directement une image ou en utilisant son URL. Ainsi, la liste des sites ayant publié le cliché apparaît. Une bonne manière de s’assurer de l’information.


 


La suite du dossier : 


Antiracisme : Les nouveaux visages de la lutte


La haine de l’autre, ça se déconstruit


Contre les clichés, le rire


Autopsie du racisme ordinaire


Extension du domaine de l’insulte

Jonathan Ardines