Driss El Yazami : « Les jeunes sont sommés de choisir de façon brutale ; il faut leur permettre d’assumer leurs appartenances multiples »

Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) depuis sa création en 2007. Crédit photo : @Cecile Laroche
À la tête du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) depuis sa création fin 2007, Driss El Yazami décrypte les profondes mutations d’une diaspora forte de près de six millions de personnes. Il plaide pour une approche décentralisée, culturelle, inclusive et tournée vers le développement. Entretien avec un acteur clé du lien entre le Maroc et ses enfants du monde.
Comment représenter une diaspora aussi importante ?
Plutôt que de la représenter, cette instance constitutionnelle vise à défendre les Marocains établis à l’étranger. La diaspora marocaine évolue vite. Dynamique, elle s’est mondialisée en moins de cinquante ans. On voit apparaître de nouveaux pays d’accueil comme l’Espagne et l’Italie (plus de 900 000 Marocains chacun), mais aussi les pays du Golfe et l’Amérique du Nord. Cette mondialisation les expose à des politiques migratoires très diverses.
On note aussi une forte féminisation (50 %). Autre transformation majeure : l’élévation du niveau socio-culturel. On compte près de 50 000 étudiants en France et 20 % des Marocains du monde ont un niveau universitaire. C’est un atout, mais aussi un enjeu dans un contexte de concurrence mondiale pour les talents, notamment dans les secteurs médical et informatique.
Quelle est votre stratégie pour toucher une population aussi diverse ?
Le Conseil essaie d’être un réseau de réseaux. Il s’agit de soutenir les très nombreuses initiatives existantes, comme l’université d’été qui réunit des experts en aéronautique à Fès ou le festival des Marocains du monde à Imilchil.
Des projets thématiques sont également menés en direction des femmes ou des jeunes. Miser sur la culture permet de créer du lien avec les nouvelles générations, de valoriser la créativité marocaine et de la faire rayonner à l’international, comme à Montpellier avec le festival Arabesque.
Comment consolider le lien avec les jeunes générations ?
Les débats sur l’identité, problématique complexe en soi, se multiplient et sont très souvent sommaires et instrumentalisés, et les jeunes sont sommés de choisir de façon brutale. Il faut les aider à assumer sereinement leurs appartenances multiples sans les assigner à une appartenance unique. Les enjeux dépassent l’identité : ils sont aussi sociaux, politiques…
La priorité est la réussite scolaire, sans négliger la transmission des langues marocaines (arabe et amazighe). Il convient de lutter contre les discriminations systémiques et l’échec scolaire, véritables freins à la réussite. Prendre en compte ces millions de jeunes de cultures diverses, aux aspirations variées, et répondre à cette multiplicité constitue un enjeu majeur.
Face à la montée de l’extrême droite en Europe, quel peut être l’accompagnement du CCME ?
Certaines batailles doivent être menées par les citoyens eux-mêmes. Le CCME peut soutenir la création d’un réseau de conseils de la diaspora plus à même d’agir en cas de crise. Il faut renforcer les espaces de réflexion et de dialogue pour les élites euro-marocaines.
À l’approche des élections législatives de 2026, qu’en est-il de la participation des Marocains du monde ?
Ils s’insèrent déjà politiquement dans leurs pays de résidence. Ils peuvent voter aux référendums organisés par le Royaume et participent, de par la Constitution, à toutes les instances constitutionnelles de démocratie participative.
Créer des circonscriptions à l’étranger me semble complexe : l’allégeance politique doit rester unique. En revanche, il faut inventer des formes de représentation adaptées pour les Marocains mono-nationaux.
Au-delà des transferts financiers, comment la diaspora peut-elle contribuer au rayonnement du Maroc ?
La Coupe du monde au Qatar a montré l’attachement des enfants de la diaspora à l’origine, symbolisé par la présence des mères des joueurs sur le terrain. Ce fut à la fois un hommage et une forme de revanche face au mépris qu’ont connu les premières générations. Un cri de protestation contre le sort qui leur a été réservé.
J’ai écrit un papier sur ce sujet dans un livre que le CCME a publié, je l’ai intitulé « Cette partie de nous-mêmes qui vient d’ailleurs ». On voit fleurir pléthore d’initiatives individuelles car le Maroc bouge. Et il bouge de manière endogène – par la volonté de Sa Majesté le Roi, de la société et des élites, et non sous la force d’acteurs extérieurs, mais par une dynamique propre.
Quels chantiers à venir ?
Il faut structurer la contribution des Marocains du monde au développement territorial. Une coopération décentralisée pourrait s’institutionnaliser, et pourquoi pas ambitionner de signer jusqu’à 50 jumelages par an.
La diaspora scientifique peut aussi participer à la R&D nationale. Dans la compétition mondiale pour les compétences, le Maroc doit envisager une politique d’immigration et pas simplement d’émigration. L’immigration circulaire est déjà une réalité pour 50 000 Marocains. Autre priorité : comment renforcer de manière significative la contribution à l’investissement.
Quel bilan tirez-vous depuis la création de cette instance en 2007 ?
Le CCME a permis une meilleure connaissance mutuelle entre Marocains de l’intérieur et de l’étranger, en déconstruisant les clichés. Aujourd’hui, ce sujet est désormais central dans le débat politique, il n’est plus saisonnier. Il a aussi valorisé la contribution multiple de la diaspora au développement, notamment via la mobilité circulaire.
La culture est désormais centrale dans les relations entre le Maroc et sa diaspora. Deux fois en quinze ans, les Marocains du monde ont été les invités d’honneur au Salon du livre de Rabat. Les créateurs marocains expatriés participent pleinement à la modernité culturelle du pays.