Edito. Ukraine-Russie : Les dessous d’une guerre

 Edito. Ukraine-Russie : Les dessous d’une guerre

02 June 2020, Paris (75), FRANCE. Screenshot of Vladimir Putin, President of Russia, during an interview on May 12, 2020. 02 juin 2020, Paris (75), FRANCE. Capture d ecran Vladimir Poutine, President de la Russie, lors d une interview le 12 mai 2020. (Photo by Xosé Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Pourquoi veut-on nous entraîner encore une fois dans une guerre qui n’est pas la nôtre ? Bien sûr, d’une façon ou d’une autre on payera (encore une fois) les pots cassés, mais la guerre d’Ukraine, qui annonce des jours sombres pour la communauté internationale, n’est pas qu’une résurgence du fameux bras de fer qu’on croyait enterré avec la chute de l’empire soviétique, suite logique du bras de fer entre les deux blocs, qu’elle n’est une guerre entre un chef d’Etat qui dirige la Russie comme une officine des services secrets avec barbouzeries et mensonges à la clé, et un président américain élu de justesse, qui peine à convaincre les Américains lambda qu’il a aussi une poigne de fer.

 

Malheureusement pour nous autres, entre Joe Biden qui a dénoncé « un début d’invasion » après le déploiement de forces russes dans les régions séparatistes de l’Est de l’Ukraine, l’Union européenne qui se dépêche de riposter avec des sanctions pour couper la Russie des financements occidentaux et un sommet Biden-Poutine annulé avant d’être daté, on sent bien que les dés sont jetés.

Car, bien au-delà des enjeux géopolitiques, la guerre qui se profile est bien un choc entre deux idéologies, l’Ukraine constituant le dernier carré rouge de ce conflit. D’un côté, nous avons un président américain qui a fait campagne sur le slogan « l’Amérique est de retour », (America is Back), remettant à l’ordre du jour l’interventionnisme à la sauce bushienne, n’hésitant pas à faire un enfant dans le dos de l’allié français avec l’affaire des sous-marins australiens dès son investiture.

Malgré le bilan catastrophique de l’après 11 septembre 2001, avec la remontée en puissance d’une présidence impériale (des États-Unis mais aussi du monde entier) Joe Biden entend désormais arracher l’herbe sous les pieds des autocrates où qu’ils soient, y compris en Russie ou en Chine. En réalité, Biden ne fait que poursuivre le rêve américain, celui qui fait passer ses intérêts stratégiques propres avant ceux de tout le reste du monde. Vous avez aimé l’America First de Trump où même le fameux « rêve américain » de Obama qui a accumulé le nombre le plus élevé de morts au mètre carré, tués par les guerres ordonnées par l’Oncle Sam un peu partout dans le monde, vous allez adorer Biden avec son « Amérique est de retour ».

De l’autre, on a un Poutine qui se rêve en un Tsar doublé d’un Staline. Il faut rappeler que la première campagne électorale du véritable patron de la Russie s’était faite sur le retour et la synthèse « des valeurs universelles et des valeurs spécifiques de la Russie, sur un patriotisme, fondé sur un Etat fort ». Connaissant bien la nostalgie des Russes pour l’empire soviétique, ne fut-ce que pour l’abondance des produits de première nécessité qui profitaient à tous, cet énigmatique ex-colonel du KGB a surfé sur ce sentiment de déclassement conséquent de la guerre sans merci que mène l’Occident à la Russie.

Cerise sur le gâteau, pour ceux qui doutent encore de la décision de Poutine d’attaquer l’Ukraine, il faut juste savoir que le cruel homme de l’ombre ne s’embarrasse jamais de considérations humaines quand il s’agit d’écraser « les ennemis du peuple russe ».

On l’a vu avec la guerre de Tchétchénie, déclenchée par le même Poutine qui a fait des ravages dans la population civile. A l’époque, l’éditorialiste préféré de Poutine expliquait sur la chaine ORT la pensée de celui-ci, en précisant que « la notion même de « population civile » n’a aucun sens en Tchétchénie où les habitants « sont pour les bandits et pour les terroristes ».

Mais pourquoi alors précisément l’Ukraine ? Pour une raison très simple, l’héritage historique n’a fait qu’exacerber les anciennes divisions. Après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Ukraine a pris son indépendance, mais en réalité ce fut une indépendance de façade encouragée par les alliés, alors que l’Est de l’Ukraine ne s’est pas débarrassé du joug russe, quand l’Ouest a été remodelé par les puissances européennes, ce qui a donné aujourd’hui la Pologne et l’Autriche-Hongrie. En réalité, les populations de l’Est composées essentiellement de russophones et de pratiquants orthodoxes sont totalement acquises à la Russie alors que les populations de l’Ouest du pays, fortement ukrainophiles et catholiques ont tendance à soutenir les thèses pro-occidentales.

Mais pourquoi diable, tous les médias occidentaux, et à leur tête la presse française, continuent de privilégier une seule vision, celle du méchant Poutine contre les gentils Occidentaux, oubliant au passage que c’est l’Europe qui fera les frais de la stratégie américaine en Ukraine ?

Pour une raison très simple, c’est que tout ce beau monde a été biberonné aux valeurs suprêmes de l’Occident et comme au début du siècle, l’Occident s’inquiète désormais de la renaissance du socialisme (même si c’est à la sauce poutinienne) et mobilise ses forces pour empêcher le retour des Bolchéviques au pouvoir.

 

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Abdellatif El Azizi