Emmanuel Dupuy : « Le terrorisme ne peut plus être séquencé par régions »

 Emmanuel Dupuy : « Le terrorisme ne peut plus être séquencé par régions »

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« Rethinking the Sahara Dispute » (Repenser le conflit au Sahara), tel est le titre de l’ouvrage collectif édité chez Ausaco par Jérôme Besnard et préfacé par l’ancien ambassadeur, Yehuda Lancry. Actuellement dans sa version anglaise, on retrouve, entre autres, Mohammed Benhammou, expert en sécurité, le professeur universitaire grec en géostratégie, Nikaky Lygeros, l’expert péruvien en relations internationales, Ricardo Sanchez Serra. Le président de l’institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy y a consacré aussi un chapitre sur la guerre contre le terrorisme du Sahara au Sahel. Avant la sortie de l’ouvrage en français en Septembre, il a accepté de répondre à nos questions.

Emmanuel Dupuy

Le Courrier de l’Atlas : Pourquoi avoir participé à cet ouvrage explicatif sur le conflit du Sahara ? Fallait il remettre les choses en perspective ?

Emmanuel Dupuy : Nous nous inscrivons dans le temps long. C’est le fruit d’une plateforme, AUSACO, qui interroge sur l’autonomie au Sahara et qui est composé de 3000 juristes, acteurs de la société civile et professeurs universitaires. Nous sommes 11 participants et pour moi, il fallait faire la jonction entre la situation au Sahel et celle au Sahara que l’on ne connait pas suffisamment. Les acteurs sont souvent les mêmes,  comme les terroristes de l’Etat Islamique. Je voulais montrer que la migration du terrorisme a été réalisée vers la rive nord de la Méditerranée précédemment. Elle a eu pour conséquence les attentats de Casablanca, puis ceux de Madrid, Londres et Paris en 2015. Dorénavant, l’extension du terrorisme se tourne vers l’Afrique de l’Ouest, notamment le Sahel et se dirige aussi vers le Golfe de Guinée.

LCDA : Les annonces d’Emmanuel Macron sur Barkhane peuvent-elles avoir des conséquences ?

Emmanuel Dupuy : Comme vous le savez, la mission Barkhane est redéployée par rapport à l’extension de cette menace terroriste. L’opération Serval et Barkhane ont permis de contenir le danger des terroristes qui s’étaient liés à des groupes armés et sécessionnistes. Cela s’est développé au Mali, Burkina Faso et Niger. Les groupes armés terroristes essayent de s’étendre partout où ils le peuvent. Le Golfe de Guinée devient plus prégnant du fait de l’atrophie et l’affaiblissement des forces militaires sur place mais aussi au Bénin et au Togo. On observe même une volonté d’extension du Mali vers le Sénégal et du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire.

LCDA : Doit-on craindre que cette nébuleuse terroriste migre à nouveau vers l’Afrique du Nord ?

Emmanuel Dupuy : Il reste un foyer terroriste en Libye même s’il a été sensiblement minoré. L’instabilité politique en Tunisie et la reprise des hostilités du Front Polisario montrent bien que la question du terrorisme ne peut plus être séquencée différemment région par région. Il y a bien un enkystement dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Cela explique aussi le besoin de s’unir de ces pays à travers la CEDEAO. La demande du Maroc de rejoindre cette communauté est logique. La mobilisation européenne et française doit être forte pour les pays de la rive Sud de la Méditerranée.

LCDA : Justement, la récente brouille avec l’Espagne pose question. Récemment, la ministre des affaires étrangères du gouvernement Sanchez a été remplacée. Est ce un signe d’apaisement entre les deux pays ?

Emmanuel Dupuy : Il est un peu tôt pour le dire car le remplacement de Aranchez Gonzalez Laya est récent. Néanmoins, c’est un signe de bonne volonté, disons le comme tel. Il répond à une réalité politique évidente. Le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez souffre du fait de sa force de coalition, Podemos qui a été défait lors de différentes élections régionales. Pedro Sanchez devait lacher du lest. Cela témoigne d’une crise interne au Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) et de la pression de pays européens dont la France qui a essayé de jouer les médiateurs. On est au delà de la seule relation entre l’Espagne et le Maroc. Cela implique aussi l’Union Européenne, notamment sur la question migratoire.

LCDA : En France, l’affaire Pegasus a secoué l’opinion publique avant de déraper vers des attaques médiatiques contre le Maroc. Pourquoi cette focalisation sur le Royaume alors que d autres pays ont bien usé et sans modération de ce logiciel ?

Emmanuel Dupuy :  Je ne comprends pas pourquoi le Maroc se défendrait d’avoir utilisé le logiciel de NSO.  Après tout, 45 pays ont souscrit à cet outil. Les services secrets marocains ont tout à fait le droit d’avoir ce logiciel. La France s’y était refusé mais le logiciel avait bien été proposé aux services de sécurité français. Mais la vraie question est que cache cette campagne médiatique contre le Maroc ? Il ne s’agit pas de mettre sous silence l’intrusion dans les téléphones d’hommes politiques, de journalistes ou d’acteurs de la société civile. Toutefois, l’affaire Pegasus ne renvoie pas vers le Maroc. Il ramène vers Israël qui bénéficie des données de la société NSO dont près de 80% du personnel travaillait pour les services secrets israéliens. La question est : Pourquoi avoir brandi le Maroc alors que le vrai responsable est ailleurs ? L’ambassadeur marocain à Paris, Chakib Benmoussa, a raison de parler du Maroc comme « victime expiatoire » dans cette affaire.

Retrouvez l’émission avec Emmanuel Dupuy sur Youtube :

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.