Logement, une ségrégation française

 Logement, une ségrégation française

crédit photo : Bruno Charoy


La crise du logement découle de plusieurs décennies de politique d’urbanisme mal pensée et dénuée de vision sociale. Au détriment des cités de banlieue et de leurs habitants, comme le retrace le journaliste Xavier de Jarcy. 


La France compte aujourd’hui environ 4 millions de sans-abri et de mal-logés et 12 millions de personnes “fragilisées par rapport au logement”. Des chiffres témoignant que “soixante ans après l’appel au secours [de l’Abbé Pierre] de février 1954, la crise du logement n’est pas résorbée”, résume dans son dernier livre Xavier de Jarcy, journaliste à Télérama et auteur d’ouvrages consacrés au Corbusier. Dans Les Abandonnés,essai précis et abondamment nourri de milliers de pages consultées aux archives nationales, il dévoile les racines profondes de cette situation française.


Hygiénisme, eugénisme et obsession nataliste sont au cœur des préoccupations de ceux qui pensent la ville dans la première partie du XXe siècle. Au premier rang d’entre eux, Henri Sellier, créateur des cités-­jardins et fondateur de l’Office public d’habitations à bon marché, qui seront remplacés en 1950 par les HLM. Entre-temps, la Seconde Guerre mondiale est passée, laissant, en France, 450 000 logements à reconstruire et plus d’un million en mauvais état.


 


Retards et mauvais choix en série


Le défi est important. Les responsables politiques, ­ministres et urbanistes qui vont se succéder au cours des décennies suivantes vont le relever en agissant toujours avec retard et en multipliant les mauvais choix, au détriment des plus fragiles. “On veut accélérer l’expulsion des ouvriers de la capitale, dénonce ainsi dès 1950 l’élu communiste Albert Ouzoulias au conseil municipal de Paris. Des dizaines de milliers de familles,dont les revenus sont modestes, sont rejetées chaque année hors de la ­capitale et plusieurs milliers le sont par force.”


En 1953, Maurice Lemaire, ministre de la Reconstruction et du Logement, crée un dispositif permettant “de constituer un secteur parallèle aux HLM, sans conditions d’accès autres que financière”, montrant ainsi sa préférence pour “une nation de petits propriétaires”. Dans le même temps, “les constructeurs de HLM déplorent la faiblesse catastrophique des crédits et la ­timidité des objectifs”.


 


Des ZUP à la crise des banlieues


On est au cœur des Trente Glorieuses, généralement perçues en France, comme une séquence d’“épopée constructive”… En réalité, “abattu par deux guerres mondiales, ce pays convalescent continue de consacrer plus de 20 % de son budget en dépenses militaires”. Dont une grande partie file en Indochine et en Algérie. La réduction des crédits pour le logement engendre une “exaspérante politique du coup par coup”. Entre autres effets : la ségrégation spatiale s’ajoute à celle par les normes et le financement. La spéculation foncière s’enracine et l’activité de promoteur immobilier séduit.


En 1958, c’est la mise en place des Zones à urbaniser en priorité (ZUP) : les grands ensembles sont censés mettre fin aux taudis. Des travailleurs immigrés les peuplent déjà en partie ; d’autres, plus nombreux, suivront dans les années 1970. La vox populi attribuera à cet épisode le début de la “crise des banlieues”. Cet ­ouvrage montre à quel point, en réalité, elle est bien antérieure. 


 


LES ABANDONNÉS. HISTOIRE  DES “CITÉS DE BANLIEUE” de Xavier de Jarcy, éd. Albin Michel (février 2019), 450 p., 22€.

Emmanuel Rionde