États-Unis – Israël, sainte-alliance ou alliance diabolique ?

 États-Unis – Israël, sainte-alliance ou alliance diabolique ?

(Photo par ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)

L’alliance de plus en plus affichée entre les États-Unis et Israël, sous Trump et Netanyahu, tombe aujourd’hui avec le génocide des Palestiniens dans un immoralisme abject.

L’alliance quasi inconditionnelle entre les États-Unis et Israël, justifiant un soutien diplomatique, militaire et financier rarement remis en cause, apparaît désormais aux yeux du monde, et pas seulement des pays arabes, comme un parti pris illégitime, ahistorique et suicidaire, notamment après le génocide des Palestiniens de Gaza par Israël. Cette orientation politique américaine, qui dépasse les présidences et les administrations successives et résiste aux changements de majorité à Washington, ne relève pas seulement de la proximité idéologique affichée entre les deux pays ou du poids d’un lobby sioniste puissant. Elle s’enracine dans des exigences simultanément stratégiques, culturelles, religieuses et politiques qui se sont renforcées au fil du temps, au point de constituer un des fondements inébranlables de la politique étrangère américaine.

Dès la guerre froide, Israël s’est imposé comme le principal allié des États-Unis au Proche-Orient, zone nécessaire à l’approvisionnement énergétique mondial et au contrôle des routes maritimes. La défaite rapide des armées arabes en 1967 a renforcé, aux yeux de Washington, l’image d’Israël comme un rempart militaire efficace contre toute influence soviétique dans la région. Cette perception stratégique s’est maintenue à la fin de la guerre froide. L’État hébreu est désormais considéré comme une garantie de stabilité et comme une base avancée pour les intérêts américains au Moyen-Orient. Les coopérations militaires et technologiques se sont multipliées entre les deux pays, renforçant davantage leur relation privilégiée. Une interdépendance miraculeuse en est issue, qui dépasse les calculs conjoncturels. Israël est devenu une extension des intérêts américains, et son affaiblissement serait perçu comme une perte d’influence pour Washington.

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La dimension culturelle et religieuse n’est pas absente d’une telle fusion, loin s’en faut. L’imaginaire biblique occupe une place importante dans la culture politique américaine, particulièrement au sein du protestantisme évangélique. Pour une large partie de cette base électorale, l’existence et la protection de l’État d’Israël représentent une valeur symbolique et spirituelle. De nombreux responsables politiques, républicains surtout, mais aussi démocrates, placent leur engagement pro-israélien dans une vision quasi providentialiste. Défendre la terre promise à Israël n’est pas incompatible avec l’identité américaine et avec la défense de la civilisation judéo-chrétienne, dont l’écrivaine tunisienne Sophie Bessis a récemment relevé « l’imposture » dans son dernier livre. Cet arrière-plan religieux explique d’ailleurs pourquoi, même en cas de divergences politiques avec le gouvernement israélien, le soutien indéfectible de la politique américaine reste irrévocable.

Aux États-Unis, le soutien à Israël bénéficie d’ailleurs d’un consensus bipartisan qui s’exprime au Congrès de façon constante. Le lobby pro-israélien, incarné par des organisations comme l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), a une capacité d’influence et de nuisance considérable sur la vie politique américaine, et même extra-américaine. Ce lobby s’appuie déjà sur un terrain favorable, une opinion publique en majorité acquise à la cause israélienne, malgré la réaction énergique récente des jeunes, des médias et des artistes américains, comme il s’appuie sur des représentations culturelles anciennes et un système institutionnel qui légitime directement ou indirectement les groupes de pression, généralement bien organisés institutionnellement aux États-Unis. Ainsi, tout candidat américain qui voudrait adopter une position critique à l’égard d’Israël prendrait le risque de perdre une partie de l’électorat et de s’exposer à des pressions financières et médiatiques redoutables. Cette contrainte politique interne rend le soutien américain à Israël indéfectible, au-delà des alternances partisanes.

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Aux États-Unis, Israël est souvent perçu comme un État démocratique assiégé dans une région hostile composée de dictatures sauvages et féodales. Cette position tend à l’évidence à reléguer au second plan les droits des Palestiniens ou les critiques adressées à la politique israélienne. Elle simplifie les rapports de force au Proche-Orient en opposant une démocratie menacée à un environnement jugé autoritaire et violent, sans se soucier le moins du monde de l’idée que les Européens et Occidentaux ne font que payer aux Palestiniens leur propre crime vis-à-vis des Juifs.

Voilà pourquoi les États-Unis apparaissent incapables de se départir de leur alignement sur Israël, même lorsque ce soutien les place en décalage avec leurs propres valeurs démocratiques et principes proclamés de défense du droit international ou des droits humains, comme c’est le cas aujourd’hui, où le gouvernement de Trump (comme d’autres d’ailleurs) n’ose pas qualifier la barbarie israélienne de génocide. Les administrations successives, de Reagan à Trump, tergiversent souvent pour appâter l’opinion mondiale et arabe par des médiations et appuis inconditionnels, mais jamais elles ne franchissent le seuil d’une réelle mise en cause de leur allié fétiche. Israël reste l’exception qui confirme la règle dans la diplomatie américaine. Rien n’est permis avec les autres, tout est permis avec Israël. Les États-Unis, au nom d’Israël, ne s’embarrassent pas d’incohérences en exigeant des alliés occidentaux des concessions, ou en critiquant la remise en cause du droit international par la Russie en Ukraine, ou même en dénonçant le glissement autoritaire en Tunisie. Seulement, tout est permis à l’allié providentiel, 51e État américain de fait. Cette Sainte-alliance paraît à vrai dire comme une alliance du diable.

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Reste que ce parti pris a un coût. Sur le plan régional, il alimente une profonde défiance des sociétés arabes et musulmanes à l’égard des États-Unis, perçus comme juges et parties, mais de plus en plus parties, dans ce conflit israélo-palestinien, de plus en plus lourd de conséquences sur le plan international, à l’intérieur des États et pour les opinions du monde. Les États-Unis n’ont plus de crédibilité pour promouvoir le multilatéralisme ou pour dénoncer les violations du droit international, au Conseil de sécurité ou ailleurs. En soutenant de manière quasi inconditionnelle les dérives d’Israël et de Netanyahu, l’Amérique de Trump hypothèque sa capacité à être écoutée comme médiatrice impartiale, d’autant plus que ce dernier, appâté par Netanyahu, est personnellement intéressé par des retours d’investissement sur des projets balnéaires à Gaza. Diabolique.