“J’ai entendu la rafale qui a tué ma fille sans savoir que c’était elle qu’on assassinait”

 “J’ai entendu la rafale qui a tué ma fille sans savoir que c’était elle qu’on assassinait”

Lamia Mondeguer, tuée par une kalachnikov alors qu’elle était attablée à une terrasse avec son amoureux, le 13 novembre 2015.

A l’heure où s’ouvre le procès historique des attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts et 413 blessés, nous publions ce témoignage de Nadia Mondeguer qui a perdu sa fille Lamia, assassinée alors qu’elle était attablée à la terrasse d’un café dans le Xème arrondissement de Paris.

 

“Quand ma mère est morte, en 2011, la première chose que je me suis dit est qu’elle était bénie car elle n’a pas vu l’un de ses cinq enfants partir avant elle. La semaine du 13 novembre 2015, je regardais un feuilleton où une dame perd son fils et j’étais en pleine empathie avec elle”, se souvient la mère de Lamia, tuée par une kalachnikov alors qu’elle était attablée à une terrasse avec son amoureux. Quand elle a su que sa fille figurait parmi les victimes, Nadia confie avoir eu un “grand choc celui qui vous fait sortir de vous-même”.

Les premiers temps, poursuit-elle, on est dans le refus. Elle admet qu’il dure encore. “J’ai grandi en Egypte, j’appartiens au monde arabe et je suis de près l’actualité de cette région. Le choc, c’est de me dire que ce qui était là-bas est venu me rejoindre ici, à Paris, près de chez moi.” Effectivement, le restaurant où se trouvait Lamia se situe à 150 mètres de chez ses parents. “La rafale qui a tué ma fille je l’ai entendue depuis ma cuisine sans savoir que c’était elle qu’on assassinait.”

On pourrait imaginer que Nadia qui a, depuis, perdu son mari, bouillonnerait de colère. Il n’en est rien. “Je ne dis jamais que ce qui est arrivé est injuste. Ma première réaction fut de me dire : Dieu merci, Lamia je l’ai vue aujourd’hui, elle a déjeuné avec moi.” Ce qui n’empêche pas la blessure d’être toujours à vif et les larmes de couler pendant ce témoignage.

Nadia, également mère de deux garçons, évoque constamment la défunte. “Je parle d’elle, mais je lui parle tout le temps. Ma fille se manifeste à nous par des signes que seuls des parents ayant perdu un enfant perçoivent. En l’occurrence, une coccinelle. C’est sa façon de nous dire qu’elle est là même si on ne peut pas se parler.”

Les parents de Lamia ont choisi de l’incinérer au jardin des souvenirs car il leur était insupportable de voir son nom gravé sur une tombe. Si elle regarde des photos de Lamia adulte, il lui est impossible d’affronter des clichés la montrant petite.

Du fait du grand nombre de victimes décédées en même temps que sa fille, Nadia estime que le deuil personnel a été submergé par le deuil collectif, qui l’en a dépossédée. Un sentiment renforcé par le traitement subi à l’institut médico-légal où les parents des victimes ont eu trois minutes pour reconnaître le corps de leur enfant et devoir, dans le cas de ceux de Lamia, signaler au médecin légiste une erreur sur la personne qu’on leur a montrée. Sans parler du jour des funérailles où “il a fallu courir de la cérémonie officielle à l’institut médico-légal et n’avoir qu’une demi-heure pour lui faire nos adieux”. Autant de violences qui viennent s’ajouter à celle de l’attentat.

Aujourd’hui, Nadia reconnaît n’être plus tout à fait la même. “Il y a des envies qui ont disparu mais je continue parce que j’ai des enfants, une famille, des amis… Je ne prends jamais la rue où elle habitait mais je suis obligée de passer tous les jours là où elle a été tuée.” Cette mère est impatiente d’assister au procès des attentats qui s’ouvrira le 8 septembre. “Je n’en attends rien mais j’ai besoin de fermer la boucle.”

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Fadwa Miadi