Amine El Baroudi, roi incontesté du sachet

 Amine El Baroudi, roi incontesté du sachet

Crédit photo : Marc Van Vack – Siti Tea


Le président de la Société impériale des thés et infusions (Siti), qui conditionne des thés dans des sachets cousus, a de quoi se réjouir. Son entreprise, née il y a trente ans dans le souk de Marrakech, est devenue un leader mondial du marché. Récit d’une success story. 


Drôle de paradoxe dans le marché du thé ! Le Maroc, gros importateur de ce produit, abrite une société qui réussit l’exploit d’être une des plus influentes du ­secteur sur l’échiquier mondial. Vouée à 99 % à l’export, la Société impériale des thés et infusions (Siti), qui conditionne thé et autres plantes, est reconnue pour ses produits haut de gamme.


Nous sommes à la fin des années 1970, au cœur de la médina de Marrakech. Installé dans son souk, un vendeur de tapis se lie d’une amitié sincère avec un touriste, grand nom des cosmétiques naturels français. Ils bavardent autour d’un verre, une verveine plus précisément. De ce lien naît une proposition. Pourquoi ne pas monter une activité d’export vers la France de cette plante aux milles vertus ? Ces deux hommes, ce sont Mustapha El Baroudi et Yves Rocher. En 1979, une filiale, qui travaillera exclusivement pour le groupe Yves Rocher dans la ville ocre voit le jour. Et, le succès est fulgurant. De quelques millions de sachets espérés au départ, on arrive à 100 millions par an !


 


Yves Rocher se désengage et l’activité explose


A l’aune des années 2000, à la mort de son dirigeant, le groupe français décide de changer de stratégie, de se concentrer sur les cosmétiques et de fermer son usine de Marrakech. C’est à ce moment-là qu’entre en scène Amine El Baroudi, qui vient de finir ses études à l’Institut de hautes études en management, HEM Casablanca. “Il nous restait un engagement de trois ans avec Yves Rocher. On s’est dit qu’il était temps d’aller chercher d’autres clients et de rester dans ce marché, avec toujours en tête la volonté de faire le meilleur produit.” En France, des opérateurs les suivent. Ils font aussi appel à des intermédiaires et l’activité explose. “On a très vite compris que la meilleure stra­tégie consistait à se positionner sur le segment du haut de gamme avec des produits à haute ­valeur ajoutée pour l’international.”


Et la recette infuse à merveille, puisqu’aujourd’hui, Siti a multiplié par cinq le volume produit à l’époque pour Yves Rocher ! La qualité étant au rendez-vous, Amine Baroudi et ses associés se passent d’intermédiaires et partent à la conquête des marchés nord-américains, asiatiques, australiens, moyen-orientaux. Leur credo ? “Créer, se renouveler, innover sans cesse.”


 


1,5 million de sachets de thé produits par jour


Les chiffres donnent le tournis. Siti, c’est une trentaine de structures, 2 500 employés avec un faible turnover, 1,5 million de sachets de thé par jour et un investissement annuel de 12 à 15 millions d’euros dans ses activités à Marrakech. “Dès le départ, ce que j’ai aimé, c’est l’industrie, le côté création. Mais aussi le fait de répondre aux requêtes des clients et à leurs exigences. Le consommateur asiatique n’a pas les mêmes desiderata que le client américain, et il faut savoir s’adapter et maîtriser toute la chaîne de production”, confie Amine El Baroudi.


Pour ce faire, il part très vite explorer l’Asie, dont il tombe amoureux. Son coup de cœur ? Le Japon “qui est toujours à l’affût d’un produit qualitatif”. A 21 ans, il se rend en Chine, malgré les réticences de son entourage. “Je n’ai jamais eu de soucis avec les partenaires asiatiques. C’est vrai que ce n’est pas évident pour un marocain de ­gagner leur confiance. Mais lorsqu’elle est accordée, elle est réelle et durable. On a affaire à des gens sérieux qui savent de quoi ils parlent. ­Aujourd’hui, certains de nos partenaires viennent chercher la matière première chez nous, car ils n’arrivent pas à l’obtenir sur place.”


Cet amour pour l’Asie le pousse à être le plus proche des innovations technologiques : “J’ai fait l’acquisition de beaucoup de machines là-bas. J’ai été bluffé par celle qui permet de faire les sachets en pyramide, et j’en ai tout de suite acheté plusieurs pour Marrakech. On a même créé avec notre partenaire japonais, une structure commune à Shanghai”, indique le jeune ­entrepreneur.


Le monde n’a pas de limites pour Amine El Baroudi, qui parcourt les pays producteurs : l’Inde, le Kenya, la Tanzanie… Ses amitiés lui permettent de monter “une plateforme axée sur le thé, qui fait de Marrakech un hub ­mondial. Aujourd’hui, on interagit avec des Chinois, des Kenyans, des Sri-Lankais, des Rwandais, des Taiwanais, des Européens aussi”.



Plus qu’une usine, un écosystème


Si, à ces débuts, la société était spécialisée dans la ­fabrication des sachets de luxe cousus – les fameux ­sachets mousseline –, elle n’a cessé d’innover : nouveaux emballages, matières étonnantes, packagings toujours à la pointe (boîtes en métal, sachets ronds, ­sachets en soie, etc.). Un client américain voulait des s­achets transparents. J’avais découvert, deux semaines plus tôt, une innovation chez un partenaire japonais qui en fabriquait avec des tissus à base de maïs. On a pu en produire rapidement dans notre usine de Marrakech et avec une qualité optimale”, détaille Amine El Baroudi.


Cette agilité explique pourquoi la société n’a pas de concurrents réels pour l’instant. “Notre gamme de propositions est très large. Siti n’est pas une simple usine. C’est un écosystème dédié à des produits à forte valeur ajoutée. Pour vous donner un ordre d’idée, des clients australiens sont prêts à attendre six mois entre la commande et la réception de la marchandise. Ils tiennent à passer par nous, car ils ont confiance en la qualité de nos produits.”


Amine El Baroudi n’a pas souhaité lancer sa propre marque de thés : “On le fera peut-être un jour, mais ça peut créer un conflit d’intérêts. On a des opérateurs avec qui on collabore depuis vingt ans et on préfère se foca­liser sur l’intégration de nos structures. J’estime que si l’on fait quelque chose, on doit la faire de la meilleure manière qui soit.”


Très sensible à la problématique du développement durable et attaché à la qualité biologique, l’entrepreneur marrakchi n’hésite pas à investir dans ce domaine. Il prend l’exemple de la menthe et la verveine (qui ne représentent pourtant plus que 10 % de la production de Siti). Pour développer ces dernières, il a fait appel à des ingénieurs agronomes suisses et allemands. “On ne voulait pas seulement de la menthe. On voulait la meilleure menthe possible. Le prix n’était pas le problème. On a la même ­réflexion quand on achète une machine. La seule chose qu’on garde en tête, c’est la ­possibilité de faire de la haute qualité avec notre ­savoir-faire très à la pointe. Quand ils sont ­posés sur les rayons, nos produits font la différence.”


 


Faire du business en famille


Ce souci du détail et du respect du client est une ­valeur chère à la fratrie El Baroudi. Amine collabore en effet avec quatre de ses frères, qui occupent chez Siti des postes à responsabilité (direction générale, projets et nouvelles productions, finances, nouvelles technologies). Les fils du vendeur de la médina de Marrakech, n’ont pas oublié qu’un client satisfait est un client qui ­reviendra, peu ­importe le prix qu’il paye. “On se concentre sur notre ville pour lui rendre sa fierté. On n’en est qu’au ­démarrage. Quand on voit l’intérêt des multinationales pour notre travail, on se dit qu’il y a encore de belles choses à réaliser, pour nous et pour Marrakech !” 


Voir la suite du dossier : Le thé, un secteur en ébullition


Philippe Chalmin : «C’est un marché comparable à celui du vin »


Originalités du thé : Enchères et dégustateurs


Le thé, un secteur en ébullition


MAGAZINE MARS 2018

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.