Les nouveaux chiffres de l’INS révèlent de profondes mutations sociologiques en Tunisie

 Les nouveaux chiffres de l’INS révèlent de profondes mutations sociologiques en Tunisie

Les dernières données publiées lundi par l’Institut national de la statistique (INS) à l’issue du recensement général de la population et de l’habitat de 2024, ainsi que des bulletins annuels plus récents, témoignent d’un tournant majeur dans la structure démographique et sociale de la Tunisie.

Premier enseignement de ces résultats détaillés, le vieillissement démographique s’impose d’abord comme une réalité tangible. La population totale frôle les 12 millions d’habitants, avec un taux de croissance annuel de seulement 0,87 % entre 2014 et 2024, soit le plus bas depuis l’indépendance. On compte désormais 17 % de personnes âgées (soit près de 2 millions de séniors, contre seulement 253.000 en 1966), pour environ 20% d’enfants âgés de 0 à 15 ans, ce qui inverse progressivement un équilibre traditionnel.

L’âge médian de la population passe à 35,5 ans, certes contre 43,5 ans en France par exemple, mais 28,4 ans en Algérie voisine à titre de comparaison.

 

Recul substantiel des mariages

Concomitamment à cela, le nombre de mariages diminue fortement : 70 942 unions célébrées en 2024, contre 78 115 l’année précédente, soit une baisse proche de 10 %. Le nombre de naissances suit en outre la même pente : 133 322 bébés enregistrés en 2024 contre 147 242 en 2023, une perte de plus de 14 000 naissances. Le taux de fécondité tombe de ce fait à 1,7 enfant par femme, et donc nettement en-dessous du seuil de renouvellement des générations (≈ 2,1). Pour le sociologue Atef Ben Youssef, les difficultés économiques à cet égard n’expliquent pas tout.

Autre élément marquant : le taux d’analphabétisme demeure plutôt élevé chez la population âgée de 10 ans et plus, estimé à 17,3 %. Chez les femmes il atteint 22,4 %, contre 12 % chez les hommes. Toutefois, on observe une baisse par rapport à 2014 : − 3,2 points chez les femmes, − 0,8 chez les hommes. Dans le même temps, le taux de scolarisation dans la tranche des 6-24 ans est à 79,2 %, avec un avantage notable pour les jeunes filles, particulièrement dans les âges les plus élevés de cet intervalle (19-24 ans).

Ces statistiques révèlent aussi des mutations dans les comportements familiaux. Le noyau familial moyen se réduit : il est passé de plus de 5 personnes, dans les années 1990, à environ 3,8 individus actuellement. Par ailleurs, le mariage tend à être retardé, tandis que le divorce gagne du terrain : dans l’année judiciaire 2021-2022, on a décompté 14 706 jugements de divorce, contre 12 598 l’année précédente.

Ces données traduisent une transition démographique déjà engagée mais qui semble aujourd’hui s’accélérer. Plusieurs facteurs sociaux, culturels et économiques pourraient en être à l’origine selon Ben Youssef : le coût croissant du mariage et de la vie familiale, combiné à l’élévation du niveau d’études et de l’ambition personnelle chez les jeunes, ce qui reporte les unions.

La faible sécurité économique, l’urbanisation, la mobilité, qui changent la manière de concevoir la famille traditionnelle, y sont aussi pour beaucoup. Les progrès éducatifs enfin, surtout pour les jeunes femmes, mais aussi une prise de conscience des limites d’un modèle démographique précèdent qui ne peut plus être maintenu sans ajustements notamment dans le nombre d’enfants par ménage.

 

Des conséquences multiples

Une pression accrue sur les systèmes de retraite et de protection sociale est à l’évidence à prévoir, avec une population active plus réduite par rapport au nombre de retraités. Des défis dans les secteurs de la santé, des soins aux personnes âgées et des infrastructures adaptées à une population vieillissante devront eux aussi être examinés. Plus que jamais, la nécessité de repenser les politiques sociales s’impose au pays.

Mais les chiffres récents de l’INS ne sont pas que des données brutes : ils tracent une ligne de rupture entre ce que la Tunisie était et ce qu’elle devient. Le pays entre en effet dans une ère où le vieillissement, la baisse de la natalité, la diversification des formes familiales et les enjeux éducatifs exigent une adaptation rapide des politiques publiques.

 

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