Mouhsine Lakhdissi rend le masque intelligent

 Mouhsine Lakhdissi rend le masque intelligent


Passionné de sciences, féru de poésie et amoureux de la nature, le coordinateur du projet MIDAD finalise avec son équipe son « masque intelligent de détection automatique à distance ». Humble, l’enseignant en ingénierie espère pouvoir le commercialiser à un prix abordable (20 euros). Son objectif : « pouvoir sauver ne serait-ce qu’une seule vie ! »


La voix du quarantenaire est posée, le verbe bien choisi et empreint d'intelligence. Mouhsine Lakhdissi se voit comme un "architecte" plus que comme un médecin. Son projet MIDAD en est l'incarnation.


Né en 1977 à Sefrou, le futur ingénieur vadrouille un peu  partout au Maroc (Taza, Nador, Rabat, Casablanca). Avec sa mère, femme au foyer et sa famille, il se déplace au gré des affectations de son défunt père, enseignant de français devenu surveillant puis directeur d’établissement.


Très jeune, il est attiré par le domaine scientifique. « C’est une façon de comprendre comment le monde fonctionne et quels sont les principes de base qui régissent notre vie sur terre, affirme Mouhsine Lakhdissi. J’aime aussi pouvoir transformer les ressources existantes en quelque chose d’utile pour l’humanité : les fruits de la terre en un mode de transport, les ressources naturelles en énergie, les courants électriques en informatique, etc. » 


Hautes études scientifiques et entrepreneuriat


Titulaire d’un bac scientifique à Taza, il suit une école préparatoire à Oujda avant de finir ingénieur en 1999 à l’école nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes (ENSIAS) de Rabat. Passé par Axa, des sociétés de service et un office public, il part à Ottawa pour un master en génie logiciel. Son envie perpétuelle d'apprendre le pousse vers un doctorat qu’il obtient en 2015.


En parallèle de son doctorat, il décide en 2008 de lancer une entreprise de conseil en informatique avec « 3 associés, un petit bureau et zéro dirham de chiffres d’affaires ». Cette société, filiale de Neoxia France, atteint les 20 millions de chiffres d’affaire et emploie une cinquantaine de personnes.


En 2015,  il fait « monter » une bande de jeunes dans la société qu’il quitte en 2018. Il intègre une société spécialisée dans la digitalisation de l’agriculture et commence à investir dans une autre entreprise. « Je suis passé d’une logique d’entrepreneur à celle d’investisseur. J’ai fait beaucoup de mentoring, de coaching de start-up dans le domaine technologique. »


« Chassez le naturel, il revient au galop ! »


En 2016, il intègre l’université en tant que professeur assistant et chercheur à la faculté des sciences et techniques de Settat. Une volonté de transmettre en se mettant dans les pas de son père. « Chassez le naturel, il revient au galop, dit en riant Mouhsine Lakhdissi. J’ai toujours fait de l’enseignement depuis les années 2000. J’ai besoin de cette proximité avec les jeunes. J’apprends énormément à leurs côtés. J’aime cette transmission dans les deux sens. » Dés le début du confinement, Mouhsine et son équipe réfléchissent à la création d'un masque « intelligent ». Apprenant l’existence d’un concours « Hacking Covid19 » organisé par HEC Paris, ils décident d’y participer avec un prototype et finiront parmi les 6 lauréats.


Leur projet : un masque « intelligent » en impression 3 D qui contient une carte et des capteurs de température, d'humidité, de pression et de taux d’oxygène. Combiné avec une application via Bluetooth, il permet d’avoir en temps réel les conditions de santé du patient mais aussi de détecter son respect du confinement et de la distanciation sociale.


«  Le projet MIDAD est le fruit du travail de 8 personnes : 2 sur l’intelligence artificielle et des données. 2 développeurs pour le web et mobile et 2 ingénieurs sur la partie industrielle (impression 3D, capteurs, etc..). Enfin, nous avons fait appel à un médecin qui pratique au service réanimation du CHU de Marrakech. Il a été précieux par ses conseils et pour valider l’idée sur le volet médical. Il nous a permis, par exemple, de rajouter l’oxymètre, qui évalue le taux d’oxygène dans le sang. »


Tracking et auto-diagnostic


Se basant sur des travaux menés également à Singapour, en Corée du Sud et en Allemagne, le projet MIDAD utilise la technologie dite du « tracking », un mot qui fait peur, tant il est associé à la restriction des libertés personnelles. « Il faut distinguer le tracking et le tracing, nous explique l’ingénieur. Le tracking va permettre de relever les personnes qui ont été fréquentées par le porteur de l’application. En cas de positivité au virus, on pourra mieux analyser l’évolution de la propagation de la pandémie. Le tracing est plus intrusif par rapport à la vie privée, car on va être en mesure de connaître les déplacements de l’utilisateur. Dans les deux cas, nous ne souhaitons pas que ce soit un processus obligatoire. Elle doit être expliquée à l’utilisateur et encadrée par la CNDP, qui est l’équivalent de la CNIL en France. Le patient peut décider de partager ou pas ses données aux soignants.»



Plus que les informations de tracking, l’équipe cherche à utiliser ce masque comme un outil de télémédecine. « On a cherché les autres informations nécessaires (comportemental, environnemental, médical) à la détection de la maladie. L’impression 3D nous a permis d’aller plus vite dans la construction du masque. Les médecins nous ont permis aussi de rajouter à la partie technologique et plastique, une partie en silicone pour protéger le visage, avoir une bonne adhésion et de l’étanchéité. »


Adapté sur un design existant, le masque est construit avec des capteurs et un processeur, pas chers et disponibles sur le marché. « Cela permet de détecter des symptômes de la maladie (mauvaise oxygénisation, température plus élevée, éternuement qui augmente la pression du souflle au moment de l’expiration). Le masque peut être utilisé avant la déclaration de la maladie d’une personne à fort risque. Ca peut concerner aussi des personnes déjà testées positives et que l’on voudrait suivre à distance, en évitant la surcharge dans les hôpitaux. Enfin, lors des périodes de déconfinement, ca permet de mieux respecter la distanciation sociale et de vérifier l’état de l’utilisateur. Le masque est lavable et désinfectable


Un masque intelligent pour 20 euros


Le masque sera forcément plus cher que celui en papier ou tissu. Il est évalué à 20 euros. « Notre projet est de sauver des vies. On espère pouvoir le vendre à coût de revient. On a un business plan étayé. L’application est gratuite et disponible en open source. Ce masque ne s’arrête pas qu’au Covid. Il peut être utilisé pour des maladies respiratoires, cardiaques, etc… qui nécessitent un suivi à distance et peuvent tolérer une logique de télémédecine. »


Si l’industrialisation a lieu, le coût pourra baisser à nouveau. En phase de tests, un investisseur au Maroc les suit. « Nous voulons le tester au Royaume. Si l’on voit que ça marche bien, on n’hésitera pas à réfléchir à une logique d’export. » Que ce soit le brevet, les autorisations au ministère de la Santé ou la CNDP, le projet passe par un cycle express. Une centaine de masques sont essayés en ce moment avant les homologations prévues pour les 2 à 3 semaines à venir. Une fois l'homologation obtenue, il est prévu une production de 500 à 1000 masques MIDAD. L'industrialisation devrait suivre pour une mise sur le marché dans les 2 à 3 mois, si tout se passe bien. « On est dans une logique open source. Si des industriels veulent utiliser le modèle, on est prêt à faire en sorte de les aider. »


Même s’il n’a jamais voulu être médecin, Mouhsine Lakhdissi voit le projet de son équipe comme une « satisfaction infinie si l’on sauve ne serait-ce qu’une vie. » Il faut dire que l’ingénieur voit l’existence de la société à travers le prisme de 3 cœurs de métiers : l’éducation, la santé et l’agriculture. « Une Nation est là pour nourrir les gens, leurs esprits et pour maintenir son peuple en bonne santé. Tout le reste est du support. Porter de la valeur ajoutée dans ces secteurs est important.»


Avec ses deux frères, il a sorti le « Diwan Rakoui » (le recueil numérique, ndlr). Pour se nourrir l’esprit, la poésie lui donne la possibilité de l’évasion tout comme les sorties dans la nature. « On est plus intelligent quand on est plus proche de la nature. La poésie allie la beauté, l’utilité et la solidité comme l’architecture. Même structurée, elle a une beauté intrinsèque externe et une utlité réelle. Comme disait le président Georges Pompidou, la poésie élève dans les cieux pour vous inspirer et vous plonger au fond de votre être. »


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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.