L’industrie du tabac vend des cigarettes 2 fois plus toxiques destinées à l’Afrique du Nord

 L’industrie du tabac vend des cigarettes 2 fois plus toxiques destinées à l’Afrique du Nord

La Tunisie compte plus de 2 millions de fumeurs


Les cigarettes destinées à être exportées vers le continent africain, notamment au Maghreb, contiennent beaucoup plus de goudron mais surtout de nicotine, jusqu’à deux fois plus. Ce qui en accroît les effets d’addiction. Explications.


L'ONG Public Eye vient d'épingler les pratiques des industriels suisses du tabac. Selon les résultats de l'enquête réalisée par la journaliste d'investigation indépendante Marie Maurisse, les cigarettiers ne produisent pas le même type de cigarettes suivant que celles-ci sont destinées au marché européen ou africain : celles qui ont vocation à être consommées en Afrique affichent des taux de nicotine deux fois plus élevés que les normes européennes.


Pour parvenir à ces conclusions, Marie Maurisse a fait analyser le tabac suisse destiné à l'export par un laboratoire de l’Institut de Santé au Travail, à Lausanne. Les résultats sont sans appel. « Un échantillon de la marque Winston, par exemple, comporte au Maroc plus de 16,31 milligrammes de particules totales par cigarette, contre 10,5 pour des Winston Classic achetées à Lausanne. »


« Pour la nicotine, la différence entre les cigarettes commercialisées au Maroc et en Suisse est particulièrement frappante : 1,28 milligramme par cigarette pour des Camel 'Swiss made' vendues au Maroc, contre à peine 0,75 milligramme pour des Camel Filters vendues en Suisse. »


Le Maroc n'a pas été choisi par l'ONG par hasard. Ainsi en 2017, 2.900 tonnes de cigarettes suisses ont été exportées vers ce pays, soit quelque 3,625 milliards de "tiges". Le Maroc fait figure de véritable porte d’entrée vers les marchés africains, et de nombreuses grandes marques de cigarettes fabriquent leur tabac en Suisse.


 


L’Afrique du nord, une cible privilégiée, par cynisme commercial


Ce choix des industriels suisses obéit évidemment à des considérations commerciales, rappelle l'ONG. Alors que 80% des fumeurs vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime à 77 millions le nombre de fumeurs en Afrique. Et ce chiffre est voué à grossir. L'OMS prévoit que d’ici à 2025 ces chiffres augmenteront de près de 40% par rapport à 2010, soit la plus forte augmentation à l’échelle mondiale.


L'Afrique constitue un marché commercial d'autant plus important que la consommation de cigarettes en Europe a quant à elle tendance à diminuer. « En vingt ans, les ventes de tabac en Suisse ont baissé de 38%, grâce aux campagnes de prévention et à l’augmentation des prix », écrit Marie Maurisse, soit le cheminement diamétralement inverse qu’en Afrique du nord.


C'est donc en Afrique que se trouvent les leviers de croissance et le réservoir de nouveaux clients. « Les marchés émergents représentent également une cible privilégiée, parce que ces Etats n’ont pas les moyens de mettre en place des politiques de santé proactives », indique le rapport de l'ONG.


Si les industriels suisses peuvent mettre en place de telles pratiques, c'est que, contrairement aux pays membres de l’Union européenne, la Suisse n'est pas obligée de respecter les "règles relatives à la fabrication" émises par la Commission européenne, qui imposent notamment des quantités de goudron et des teneurs maximales en nicotine. Les cigarettes produites au sein de la Confédération sont d'ailleurs très peu contrôlées, déplore enfin la même source.


En Tunisie, un paquet de cigarettes de luxe coûte malgré les récentes augmentations en moyenne 6 dinars tunisiens, soit environ 1,75 euro.

Seif Soudani