Maroc. Commémoration du 20 août 1953 – Des armes et des larmes

 Maroc. Commémoration du 20 août 1953 – Des armes et des larmes

Après les émeutes à Khenifra, au Maroc, le 20 août 1955, des manifestants emportent dans un camion les corps de leurs compagnons tués lors des affrontements qui ont eu lieu à l’occasion de manifestations contre l’exil imposé du sultan du Maroc, Mohammed ben Youssef, dont on peut voir des portraits ornant les véhicules des manifestants. A droite : Le Sultan Mohammed V du Maroc, accompagné du général Alphonse Juin, résident général du Maroc, à Casablanca, le 9 novembre 1950. CHATAIGNEAU / AFP – D : @F1 / AFP

Et si c’était bien l’exil du sultan Moulay Youssef qui avait sonné le glas du colonialisme français aussi bien au Maroc que dans toute l’Afrique du Nord ? Le royaume commémore le jour du 20 août 1953, date où les autorités coloniales ont contraint feu Mohammed V à l’exil, un acte odieux qui n’a fait que susciter une forte mobilisation des populations. Des tribus entières qui se sont soulevées dans toutes les régions du pays pour défendre la souveraineté du Royaume et réclamer avec force le retour du souverain, qui était à l’époque le symbole de l’unité de la Nation.

 

Pour l’anecdote, en 1953, l’anthropologue français Jacques Berque, titulaire de la chaire d’histoire sociale de l’Islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981, dénonçait  cet exil imposé au Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef , considéré déjà comme une « faute politique majeure ».

Or c’est une bien douloureuse histoire que ce 20 août 1953. Concernant cette période qui nous intéresse, l’étincelle qui va mettre le feu aux relations déjà peu amicales entre la métropole et le Maroc, c’est la fameuse allocution du Sultan à Tanger en 1947. Dans ce discours historique, Sidi Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V) ne demande ni plus, ni moins que l´indépendance du Maroc.

Quelques années plus tôt, des cadres dirigeants du Parti National (clandestin depuis 1937) avaient rendu public le 11 janvier 1944, un manifeste revendiquant l’arrêt de la colonisation et l’indépendance totale du Royaume. Réponse du colon : le 20 août 1953, Sidi Mohammed Ben Youssef et sa famille (dont le futur Hassan II) sont embarqués sans ménagement dans un avion pour la Corse, avant d’être par la suite exilés à Madagascar.

Commémoration du 20 août - Des armes et des larmes
Le sultan Muhammad Ben Youssef (C) et son fils le prince Moulay Hassan (D), futur roi du Maroc, posent pour le photographe en octobre 1950 à Casablanca. BELIN / AFP

Au Maroc, aux arrestations arbitraires et tortures répondent des manifestations de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes. Partout , la rue gronde et les autorités coloniales n’ont plus le choix en définitive, que de rappeler en 1955, le Sultan à rentrer précipitamment  au bercail. Le 16 novembre 1955, il est accueilli triomphalement à Rabat. Quelques mois après, exactement le 2 mars 1956 , l’Hexagone se résout à mettre fin au protectorat français au Maroc.

Aujourd’hui la moindre des choses, c’est qu’un président comme Emmanuel Macron qui se gargarise de respecter le devoir de mémoire, donne à la France le courage de reconnaître le génocide qui a bien été commis par l’Hexagone sur les civils au Maroc. Après tout, « errare humanum est » (ndlr, l’erreur est humaine), ce qui signifie l’erreur étant le propre de l’homme, reconnaître les erreurs de la colonisation française au Maroc, c’est ouvrir une nouvelle page dans les relations entre deux pays que tout rassemble mais que ce sombre passé continue de séparer.

Pour mémoire, « cette colonisation positive », selon les mots de Sarkozy a commis des massacres coloniaux  d’une cruauté sans pareil. Des milliers, voire des millions de victimes à compter du côté marocain (contre quelques centaines côté européen), depuis « la campagne du Maroc » menée par la main de fer du général Lyautey aux évènements de Oued Zem du 20 août 1955, (où plus de 1 000 Marocains sont tués) en passant par les fameux bombardements des populations civiles du Rif par les armées française et espagnole sous commandement du maréchal Pétain et du général Miguel Primo de Rivera, ce n’est que cadavres et désolation.

Des dizaines de milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, avaient été massacrées, selon le calendrier quotidien qui consistait à asperger chaque matin des souks, des douars et des villages du Rif de gaz mortel.

Ce qu´affirme le « roman national » marocain aujourd’hui sur le protectorat n’a malheureusement que très peu d’échos auprès des populations marocaines en 2022. Pourtant l’histoire, c’est la recherche de la vérité.

La mémoire, c’est le respect de la fidélité aux faits historiques et c’est en cela que toute commémoration est tout d’abord un acte  consensuel, qui a pour objectif premier le rappel aux générations montantes des faits marquants de l’histoire de leur pays, un passé qui définit leur identité et qui leur permet de faire reconnaître les racines socioculturelles de leur nation.

Il s’agit avant tout de conserver la conscience nationale de cet événement majeur de l’histoire du Maroc, servant d’exemple et de modèle en matière d’engagement.

Les objectifs poursuivis par la commémoration sont de faire connaitre, tant à la population qu’aux étrangers, ces différentes étapes majeures de notre histoire qui ont façonné́ et composent aujourd’hui l’identité́ de la société́ marocaine.

On doit d’ailleurs à Paul Ricœur  cette magnifique sentence : « C’est sur le chemin de la critique historique que la mémoire rencontre le sens de la justice. Que serait une mémoire heureuse qui ne serait pas aussi une mémoire équitable ? » 

 

Abdellatif El Azizi