Musulmans : le sondage qui interroge sur l’ingérence étrangère

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Le docteur en Sciences Politiques et chercheur en relations internationales, Sébastien Boussois revient sur un sondage polémique concernant les Musulmans de France.
Une tribune de Sébastien Boussois
Depuis une semaine, un sondage de l’IFOP commandé par la revue Écran de Veille alimente la polémique, une de plus en France sur les musulmans dans l’hexagone. Ses résultats, relayés partout, affirmaient en gros qu’une part croissante des jeunes musulmans de France adhèrerait à une vision plus rigoriste, voire islamiste, de leur religion. Mais une autre affaire, bien plus lourde, pourrait se greffer dessus : selon une enquête fouillée publiée en 2023 par Mediapart, Écran de Veille serait en réalité la déclinaison papier d’un site, Global Watch Analysis, financé et piloté par des acteurs proches des Émirats arabes unis. L’affaire dépasse donc le cadre d’un sondage : elle touche à la possibilité d’une ingérence étrangère visant à orienter le débat français sur l’islam. Le scandale n’est plus seulement dans les chiffres, mais dans la main qui aurait commandé la machine.
Un sondage polémique, faible méthodologiquement et politiquement inflammable
Le sondage en question prétendait dresser un état des lieux alarmant sur les jeunes musulmans de France. Les réponses, présentées comme des signaux d’une « dérive islamiste », laissent croire que la majorité d’entre eux placerait la religion au-dessus des lois de la République ou se déclarerait favorable à l’application de la charia. De nombreux spécialistes, pas tous très objectifs non plus, ont pourtant dénoncé des biais méthodologiques évidents : glissements constants entre religiosité et radicalité, formulations ambiguës, absence de contextualisation et lecture orientée. Le questionnaire semblait conçu pour générer un effet de panique morale, et non pour éclairer réellement la diversité des pratiques ou des croyances musulmanes. Mais c’est la commande du sondage qui soulève aujourd’hui le plus de questions. La revue Écran de Veille, présentée comme neutre et spécialisée, serait en réalité un relais d’une plateforme déjà identifiée dans plusieurs enquêtes journalistiques comme instrument d’influence émirati. Une telle filiation transforme ce qui aurait dû être une étude d’opinion en possible outil de propagande.
L’ingérence émiratie : un mécanisme désormais bien documenté
Les révélations de Mediapart ( https://www.mediapart.fr/journal/france/201125/musulmans-de-france-les-failles-d-un-sondage-choc) sur l’arrière-plan émirati de ce sondage s’inscrivent dans une longue série d’affaires similaires. Depuis plusieurs années, les Émirats arabes unis développent une stratégie agressive d’ingérence informationnelle en Europe, destinée à discréditer tout ce qui, de près ou de loin, pourrait être associé aux Frères musulmans, leurs ennemis régionaux, et en filigrane le Qatar dont ils osnt obsédés qu’il est un puissant soutien encore aujourd’hui. En Belgique, en 2024, un fichier illégal recensant des personnalités soupçonnées d’affinités avec les Frères musulmans, élaboré par une officine liée à Abu Dhabi, avait provoqué un scandale politique majeur. En France, plusieurs think tanks douteux, associations-écrans et publications en ligne ont été identifiés comme proches des intérêts émiratis. Le procédé est habituel : créer un climat de suspicion autour des musulmans d’Europe, associer piété religieuse et radicalité, pousser les États européens à adopter une ligne sécuritaire dure et se présenter ensuite comme partenaire « indispensable » dans la lutte contre l’islamisme. Le sondage IFOP, replacé dans cette chaîne d’influence, ressemble à un maillon de plus dans une stratégie cohérente d’Abu Dhabi visant à façonner le débat français de l’extérieur.
Les intérêts d’Abu Dhabi et les dangers pour la souveraineté française
Si les Émirats arabes unis avaient effectivement commandité ce sondage, leur motivation serait triple. L’objectif serait d’abord idéologique : imposer leur vision ultra-répressive de l’islam, entièrement façonnée par leur lutte contre les Frères musulmans. L’objectif serait aussi géopolitique : affaiblir les acteurs musulmans indépendants en Europe pour mieux se positionner comme médiateurs incontournables. Et il serait enfin diplomatique : entretenir en France un climat de méfiance envers une partie de la population afin de promouvoir Abu Dhabi comme un modèle de sécurité et de stabilité. Ce qui se joue donc dépasse largement le cas de ce sondage : c’est la question de l’intégrité du débat public français.
