L’imbroglio judiciaire du procès Ben Ali

Il y avait un décalage de perception assez saisissant à Tunis hier, lundi 20 juin, au procès de Ben Ali, premier président déchu du Printemps arabe à être jugé : non événement presque anecdotique pour une foule de curieux plutôt clairsemée sur place en ce début de semaine où la vie semble retrouver son cours normal, le procès semblait en revanche captiver les quelque 200 journalistes qui étaient à l’affût de la moindre fuite d’une audience dont le juge n’avait autorisé à filmer que quelques minutes. Pour autant, ce qui tend à devenir ces derniers temps un véritable marronnier de la presse n’est pas dénué d’une complexité politico-judiciaire légitimant sa présence récurrente dans ses colonnes.

Car il y a, d’abord, le piège d’un « procès vengeance », inhérent à ce type de procès inévitablement politiques et, surtout, par contumace. A l’évidence, le fait que l’ex président ne soit pas présent aux audiences lui confère une certaine marge de manœuvre et quelques cartes en main : ainsi c’est à l’accusation de fournir les preuves à la faveur d’une justice qui devient de fait de type accusatoire.

Il y a le risque non négligeable ensuite des fameux vices de formes, ayant historiquement fait la célébrité de quelques avocats de personnalités parmi les plus honnies. En France, Me Vergès en sait quelque chose. Une catégorie d’avocats spécialisés, dont le cynique talent consiste à reléguer au second plan le fond, souvent indéfendable, des dossiers de leurs illustres clients, au profit de la forme, en faisant la chasse aux moindres faux pas de la procédure. Et en l’occurrence, l’avocat libanais des Ben Ali, Akram Azouri, se lâche déjà auprès de qui veut bien l’entendre : il ne s’y est pas trompé en focalisant ses griefs contre la question de la notification, une question aux enjeux moins simples qu’il n’y paraît. C’est en effet tout le procès qui pourrait être annulé s’il s’avère que Ben Ali n’en a pas été notifié en bonne et due forme. Et déjà les critiques fusent contre les autorités judiciaires ayant envoyé la convocation au premier procès à l’adresse tunisienne de l’ex président : au Palais de Carthage… Comment justifier une telle décision lorsque l’on sait que c’est l’article 57 de la Constitution qui fut retenu par le Conseil constitutionnel pour assurer la passation des pouvoirs, ne laissant aucune illusion quant à une éventuelle vacance provisoire du pouvoir, contrairement à l’article 56 ?

Même si les avocats de l’accusation peuvent plaider l’absence de tout statut officiel de résident ou de réfugié en Arabie Saoudite, cette formalité reste épineuse en prêtant le flanc à la défense sur une question technique mais non moins déterminante, la loi tunisienne requérant qu’un délai de 30 jours au minimum sépare la date du procès de la convocation au tribunal « si l’accusé réside à l’étranger ».

Toujours sur un plan strictement procédural, un procès équitable comprend le droit d’être en mesure de choisir son propre avocat. Pis, en refusant de défendre Ben Ali, le secrétaire général de l’Ordre des avocats, Mohamed Rached Fray, avocat commis d’office, lui a peut-être indirectement rendu service : en invoquant dans un communiqué une « non adéquation d’une telle défense avec les principes édictés par la révolution », il peut donner à l’ex président l’occasion de dénoncer un procès biaisé et avant tout politique.

Enfin, l’Etat tunisien a beau réitérer les demandes d’extradition en direction du royaume wahhabite, tant que l’un des chefs d’inculpation, tels que celui de la haute trahison, sont passibles de la peine capitale, l’Occident, intransigeant sur les questions ayant trait aux droits de l’homme, ne pourra vraisemblablement pas soutenir la demande en question.

Pour achever de compliquer la donne, ce qui peut paradoxalement sauver Ben Ali d’une telle sentence, c’est le fait que la Constitution tunisienne actuelle, certes suspendue, ne prévoit pas en l’état de haute trahison autre qu’à l’encontre du président de la république lui-même, un président symbolisant l’Etat depuis que Bourguiba a conçu ce texte paternaliste et sur-mesure, en 1958.

Reste à l’accusation de faire valoir le fait que, même si elle reste applicable en théorie (les chances pour son abolition restent minces même dans une prochaine Constitution), la peine de mort n’a pas été appliquée en Tunisie depuis 1991. En attendant, Ben Ali et son épouse ont été condamnés hier à 35 ans de prison ferme pour détention illégale de devises, d’armes, de drogues et de bijoux de luxe ainsi que pour détournement de fonds, autant d’accusations que le train de vie de son clan et sa violence suffisent à rendre accablantes.

S.S.

 

Seif Soudani