Le déballage du majordome de Leïla Ben Ali, suite et fin

Certains jours, c’est dur d’être journaliste, car on est obligés de tout lire : « Anatomie d’un tyran » d’Alexandre Najjar (Actes sud) ; « Tunisie, Algérie, Maroc- La colère des peuples » de Martine Gozlan (L’Archipel) et maintenant « Dans l’ombre de la reine » de Lotfi Ben Chrouda, majordome des Ben Ali (Michel Lafon). Si les deux premiers ne méritent pas une ligne, le troisième nécessite un compte rendu et un commentaire ; il a eu un grand impact en Tunisie grâce à Nessma tv qui lui a consacré quatre soirées en prime time et d’autre part, il contient deux ou trois révélations intéressantes.

L’essentiel du livre de Ben Chrouda aurait pu tenir en quelques feuillets :

-Leila avait un immense ascendant sur son mari ;

-elle pratiquait la sorcellerie ;

-elle recherchait les pièces archéologiques anciennes pour elle et les membres de son clan, elle faisait venir de pays africains des chercheurs de trésors ;

-elle et son frère Belhassen ont spolié Leur majordome en l’obligeant à leur céder, pour une bouchée de pain, une maison à Sidi Bou Said, le quartier le plus huppé de Tunis ;

-Belhassen était peut-être l’associé ou le prête-nom de Leila et/ou son mari ;

-le livre décrit un président affaibli, déclinant et au bord de la déchéance au cours des dernières années ; il avance la thèse d’un cancer de la prostate ; pour lutter contre la douleur et faire bonne figure , Ben Ali selon le livre consommait de la drogue ;

-le couple est radin, mesquin, volontiers ordurier dans ses propos, le président est obsédé qu’on puisse lui voler même un quartier d’orange ;

-Leila est d’une générosité et d’une complaisance obsessionnelles avec son clan ;

-le personnel est traité comme s’il s’agissait d’un troupeau d’esclaves ;

-Leila a créé le club Elyssa, dont étaient membres toutes les femmes de ministres et qui est devenu le plus importante centre de décision du pays ; le club Elyssa mérite une enquête à lui tout seul ;

-le couple manipule énormément d’argent liquide, on peut s’interroger sur sa provenance : trafics en tous genres, contrebande, détournement des versements des citoyens au compte de solidarité nationale 2626, dons reçus par le parti et le président à l’occasion des élections ??

-Et, pour les voyeurs et les indiscrets, quelques secrets d’alcôve qui relèvent de la vie privée à laquelle tout un chacun a droit, même les dictateurs les plus infâmes. Cette partie du livre tourne au déballage sordide.

Le livre reproduit à la fin, le fac-similé de ce qui est présenté comme le dernier bulletin scolaire de Leila, au Lycée Montfleury à Tunis. Il évoque l’enfance et la jeunesse de la future première dame de Tunisie, sa famille, avec des données invérifiables.

Là où il était le plus attendu, le récit des dernières heures du régime est bâclé en quelques pages. Il confirme ce qui avait été révélé par Le Courrier de l’Atlas, que toute la famille de Leila s’était réfugiée chez elle quelques jours avant la révolution. Le dernier contact avec le clan et le couple maudit s’effectuera le vendredi fatidique 14 janvier,  en milieu de journée. A partir de là, le livre emprunte la version publiée le 9 février par Le  Nouvel Obs et qui s’était avérée par la suite complètement fausse et selon laquelle c’est un Sériati armé et un chef d’état major déterminé qui ont poussé un Ben Ali en pleurs à quitter le pays.

En réalité, cette version est de la pure fiction. Le général Rachid Ammar (et non Ben Ammar) n’a jamais refusé de faire tirer sur la foule puisqu’on ne le lui a jamais demandé. Il n’a jamais demandé à Ben Ali de partir. Ce dernier est allé saluer sa femme à l’aéroport laquelle partait pour une omra (petit pèlerinage) sans savoir si elle pourrait jamais revenir. Il a été retenu par son fils et les a accompagnés, ne prenant ni ses lunettes, ni une simple chemise de rechange (cf notre article). La révolution, la détermination du peuple tunisien et une grande part de hasard ont ce jour là préservé la Tunisie.

B. S.


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