Point de vue. Reconnaissance de la Palestine par la France

 Point de vue. Reconnaissance de la Palestine par la France

La France est sur le point de reconnaître officiellement l’État de Palestine le 22 septembre à l’Assemblée générale des NU. Le président Macron cherche à donner un nouveau souffle au processus de paix au Moyen-Orient après une période d’hésitation et de tâtonnement.

La décision annoncée par Emmanuel Macron de reconnaître officiellement l’État de Palestine le 22 septembre à l’occasion de la 80e Assemblée générale des Nations unies constitue un geste diplomatique inédit pour un pays du G7, mais aussi un pari politique aux effets encore incertains. Devant intervenir le 17 juin dernier, cette décision a été reportée sine die en raison de l’attaque lancée par Israël contre l’Iran. Par cette reconnaissance, la France entend confirmer la solution à deux États, constante dans la tradition diplomatique de ce pays, dont l’évidence s’est effritée sous l’effet de la guerre de Gaza, de l’expansion continue des colonies, de l’intransigeance du gouvernement Netanyahu et du génocide des Palestiniens. La France a déjà coordonné récemment avec l’Arabie saoudite un texte sur la question. Ces deux pays ont en effet déjà rédigé la « Déclaration de New York » fin juillet 2025 dans une conférence aux Nations unies contenant une feuille de route vers un retour de la paix au Moyen-Orient. Cette « Déclaration », signée par 17 pays occidentaux et arabes, et adoptée par 142 des 193 États membres, avec 10 voix contre et 12 abstentions (dont la Tunisie), exclut le Hamas des démarches diplomatiques et politiques, insistant sur la nécessité de désarmer le mouvement islamiste qui contrôle Gaza depuis 2006.

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En prenant l’initiative, la France cherche à impulser une dynamique collective en Europe et au-delà, à rappeler que la question palestinienne demeure centrale pour toute stabilité au Moyen-Orient, et à réaffirmer un rôle diplomatique qu’elle revendique sur la scène internationale. En tout cas, pour Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne, c’est une victoire symbolique importante, surtout après l’engagement pris de désarmer le Hamas et de réformer leurs institutions. Pour Israël, en revanche, c’est une provocation. Netanyahu a dénoncé une « récompense au terrorisme », son ministre de la Défense parlait d’une « capitulation devant le terrorisme », et Washington, par la voix de Marco Rubio, a fustigé un geste jugé imprudent, qui servirait davantage la propagande du Hamas que la cause de la paix. Pour Trump, bien entendu, « ça ne changera rien ». La polarisation est donc immédiate. Saluée à Madrid, Oslo ou Riyad, dénoncée à Jérusalem et à Washington, l’annonce de reconnaissance de la France illustre la fracture profonde entre ceux qui estiment qu’il faut sauver ce qui reste de la solution à deux États et ceux qui considèrent qu’elle est morte et ensevelie depuis longtemps et qui prônent une démarche radicale.

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Toujours est-il que la portée de cette reconnaissance est symbolique. En rejoignant les 148 pays qui reconnaissent déjà la Palestine, la France donne une légitimité nouvelle à la cause palestinienne, tout en plaçant Israël devant ses responsabilités. Mais les effets pratiques dépendront à l’évidence de la suite. La France devra accompagner ce geste de pressions diplomatiques, de garanties de sécurité et de soutiens concrets à l’édification d’institutions palestiniennes viables. La reconnaissance peut responsabiliser les États qui la font, les poussant aux actes. L’Espagne a musclé sa diplomatie récemment après sa reconnaissance de la Palestine. À court terme, le risque est réel d’un durcissement des relations franco-israéliennes et d’un isolement au sein du G7, mais à moyen terme, la France, qui a déjà été précédée par l’Espagne et d’autres pays européens, pourrait enfoncer encore la brèche et inciter d’autres partenaires européens à franchir le pas, élargissant la reconnaissance internationale de la Palestine à près de 150 États.

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Reste à savoir si ce mouvement sera un levier pour relancer des négociations ou juste un symbole de plus, et si la reconnaissance n’est pas condamnée à l’impuissance face aux rapports de force sur le terrain. C’est le côté aléatoire de la reconnaissance. Car si cette reconnaissance n’est suivie ni d’un processus diplomatique ambitieux ni d’une réelle pression internationale sur Israël et sur les acteurs palestiniens eux-mêmes, elle risque de rester une proclamation sans lendemain. En définitive, le choix de Macron est un pari sur la force de la diplomatie à un moment où la paix paraît plus menacée et plus lointaine que jamais. C’est un pari sur l’idée que le droit international et la reconnaissance politique peuvent encore infléchir l’histoire, malgré les bombes, les murs et les humiliations. Mais c’est aussi un pari risqué, car la reconnaissance, en l’absence de perspectives concrètes, pourrait nourrir des désillusions supplémentaires. L’efficacité du geste de la France dépendra de sa capacité à transformer ce symbole en outil de relance pour une paix aujourd’hui moribonde.

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Moralement, la reconnaissance de la Palestine est un acte de justice symbolique, surtout après la destruction massive de Gaza et les milliers de victimes civiles. Elle signifie que la communauté internationale ne valide pas l’idée que la Palestine puisse être effacée militairement. Elle donne un sens à la résistance palestinienne. C’est l’idée qu’il existe un peuple qui a droit à la dignité, à la souveraineté et à un avenir. Politiquement, c’est un acte souverain, relevant du domaine réservé du président de la République (Macron). Acte prévu et plus ou moins encadré par le droit international certes, mais c’est la dimension politique qui lui donne tout son sens. Reconnaître la Palestine, c’est reconnaître d’abord, non des frontières (Israël n’a pas de frontières stables et reconnues) ou un gouvernement effectif, mais une nation ou un peuple historique, colonisé, subjugué, qu’on tente d’effacer par la force. L’effectivité du gouvernement est ici hors de propos. La nation palestinienne n’a pas cessé d’être présente, avant comme après la « Déclaration Balfour ». C’est comme si la France ou l’Angleterre, autrefois, tentaient, à la faveur de leur colonisation, d’effacer et de renier les peuples et les États qu’elles ont occupés par la force, mais qui ont fini par acquérir leur indépendance. Diplomatiquement, on le sait, plusieurs pays européens (Espagne, Norvège, Irlande en 2024) ont franchi le pas. Cela contribue à isoler Israël politiquement, même si les grandes puissances (États-Unis surtout) continuent de bloquer toute sanction réelle, comme la dernière résolution du Conseil de sécurité. Sans faire preuve de naïveté, il n’est pas exclu que cette reconnaissance puisse servir de levier diplomatique pour relancer, ou accréditer l’idée d’une solution politique à deux États conformément à la Résolution 181 des NU, adoptée le 29 novembre 1947. Outre qu’elle a des chances d’accroître la légitimité palestinienne dans les institutions internationales (ONU, CPI, CIJ).

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Mais ne l’oublions pas, stratégiquement, tant que les rapports de force militaires et politiques restent défavorables aux Palestiniens, la reconnaissance n’entraîne pas ipso facto la fin de l’occupation ni la reconstruction de Gaza. Elle renforce à coup sûr la cause palestinienne sur la scène internationale, augmente la pression sur Israël et ses alliés, tout en ouvrant la voie à de possibles sanctions économiques ou à un isolement diplomatique accru. D’ailleurs, après les massacres de Gaza, certains Palestiniens ont fini par considérer que la reconnaissance ne suffit plus, ce n’est qu’une « déclaration » de plus, même si elle est le fait d’une des puissances internationales (la France). Elle doit être pour eux accompagnée d’actes concrets (fin de la colonisation, protection internationale, sanctions). Une reconnaissance, aussi « symbolique » soit-elle sur le plan politique, n’améliore pas pour autant, en elle-même, la vie quotidienne des Palestiniens, même si elle constitue un nouvel acquis pour la cause.

Au final, il ne faut pas désespérer des actes politiques positifs, comme la reconnaissance, pour assagir la folie meurtrière des gouvernants et des États, mais il ne faut pas non plus nourrir beaucoup d’espoirs sur la marginalisation de la force brute sur le plan international.

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