Fatima Mazmouz, sur les traces de son histoire

 Fatima Mazmouz, sur les traces de son histoire

DR


Entre Casablanca, sa ville de naissance, où elle vit aujourd’hui, et la région parisienne, où elle a grandi, son cœur balance. Une double culture que l’artiste explore dans son travail centré sur l’identité et le désir de transmission.


Née à Casablanca en mai 1974, Fatima Mazmouz quitte le Maroc à l’âge de 3 mois pour la France. La suite ? “Une vie classique d’immigrés marocains qui s’inscrivent dans le paysage de la banlieue parisienne.” Dans un sourire, elle lâche : “Mes parents étaient berbères, donc mon père était épicier…” Chaque année, elle retourne au Maroc avec sa famille pour plusieurs mois “dans la ‘berbèrie’ profonde” : aller chercher l’eau au puits, du bois pour faire du feu, éviter les scorpions, de quoi se structurer dans cette double identité. “J’avais un pied dans les deux cultures”, commente-t-elle sobrement. Très vite, elle ressent une forme d’exclusion. Des deux côtés de la Méditerranée. “On me posait la question de l’intégration et en même temps, à la maison, on me disait que j’étais trop française”.


 


Inculquer des valeurs porteuses


La culture, la jeune femme la découvrira assez tard, au lycée : “Je me sauvais de l’école, je rédigeais des mots pour que mes parents me donnent de l’argent pour des sorties scolaires fictives.” Un bon moyen pour découvrir Paris et ses musées. “J’ai dormi devant les toiles de Monet durant je ne sais combien de temps !” La découverte de ce nouveau monde lui donne envie d’entreprendre des études d’histoire de l’art. Elle ira jusqu’à la thèse. Ensuite, elle décide d’aller vadrouiller dans les pays du Moyen-Orient avant de se tourner vers la photo­graphie : “Je souhaitais réécrire ma propre histoire, ­ouvrir les nœuds.” Dans ce but, elle retourne là où tout a commencé, à Casablanca : “En m’installant là-bas, j’ai accouché symboliquement de moi-même.” Avec une idée fixe : ne pas “transmettre de la frustration” à ses enfants. “Je voulais au contraire leur inculquer des valeurs qui pourraient les porter.”


 


Questionner les résistances


L’artiste engage un travail sur le Maroc des années 1950 avec la complicité de son père, boxeur à l’époque. “Il m’a parlé du multiculturalisme qui régnait alors à Casablanca, mais il a eu beaucoup de mal à évoquer la décolonisation.” Fatima s’intéresse également à la question des résistances et de la prostitution durant cette période. Elle aborde le corps colonial “qui fonctionne sur la seule base de l’exploitation économique, ce qui m’a conduit à faire le lien avec la ghettoïsation des banlieues”. Cette année, à la ­Galerie 127, à Marrakech, elle a exposé sa vision sur toute cette partie intime, liée à son père. Une seconde exposition, sur le corps colonial, sera présentée en 2018, “peut-être à Bruxelles ou au Maroc”.


Son autre combat ? La lutte en faveur de l’avortement et des libertés individuelles, “fondamentales dans mon parcours”. De cette réflexion est née Super Oum, une héroïne cagoulée avec des bottes en cuir “devenue le symbole d’une école de la résistance à la mère-patrie”. Un concept qu’elle juge atrophiant : “La société vous impose de faire un choix entre deux parties. On a le droit de se sentir appartenir aux deux”, conclut-elle. 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Jonathan Ardines