Sahara. L’abstention controversée de la Tunisie au Conseil de sécurité

 Sahara. L’abstention controversée de la Tunisie au Conseil de sécurité

Membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, la Tunisie défraie la chronique depuis qu’elle est abstenue le 30 octobre de voter le texte de la résolution sur le Sahara marocain présenté par les Etats-Unis. En s’alignant sur la position de la Russie, qui elle aussi s’est abstenue, le vote de la Tunisie est perçu par de nombreux observateurs comme prenant le parti de son voisin algérien au détriment du Maroc. Décryptage.

Malgré le forcing algérien et russe, le texte du projet qui circulait depuis le 27 octobre a donc été maintenu sans modification, voté par 13 voix pour, et 2 abstentions.

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Fait rare, quoique récurrent depuis l’investiture du président Saïed, la Tunisie rompt avec sa tradition diplomatique de « neutralité positive ». Une posture qu’elle avait pourtant systématiquement adoptée, en particulier dans ce conflit qui oppose les deux grands pays du Maghreb, dont les relations diplomatiques ont récemment été rompues à l’initiative de l’Algérie.

Qualifiée d’inattendue, la position tunisienne se singularise par ailleurs de celle d’autres pays africains membres du conseil, le Niger et le Kenya, qui ont voté quant à eux favorablement à la résolution américaine. La Tunisie rompt ainsi non seulement avec sa position coutumière, mais elle renonce à une formulation qu’elle a toujours appuyée puisque la résolution votée vendredi est la même que celle adoptée au cours des années précédentes et que le pays a soutenue y compris lors de son vote en 2020. Comment expliquer cette volte-face ?

Certaines voix en Tunisie disculpent le rôle de l’Algérie en ce sens, une thèse qui souligne que le pouvoir algérien s’était jusqu’ici montré « compréhensif » à l’égard de l’attitude de « neutralité positive de la Tunisie ».

 

Echange de bons procédés

Mais cet argument omet le contexte de reconfiguration des axes régionaux notamment depuis le coup de force de l’Etat d’exception décrété par Kais Saïed en deux étapes, les 25 juillet et 22 septembre derniers, un tournant autoritaire au sein duquel la nouvelle Tunisie post printemps arabe ne cache pas son rapprochement avec l’Algérie d’Abdelmajid Tebboune, et vice versa, au nom d’une certaine idée du souverainisme.

Une entente plus que cordiale, confortée encore hier lundi par un entretien téléphonique entre les deux dirigeants algérien et tunisien où ce dernier avance que Carthage œuvre pour que le Maghreb retrouve son unicité.

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D’autres voix encore estiment que la Tunisie a cherché à faire d’une pierre deux coups, en adressant au passage un message aux Etats-Unis, auteurs de la résolution, pour signifier une seconde fois « le mécontentement » tunisien quant aux récents avertissements répétés des USA à propos l’évolution de la situation politique en Tunisie où la transition démocratique est suspendue, à l’aune des décisions unilatérales prises par Kais Saïed.

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Quoi qu’il en soit, ledit vote au Conseil de sécurité met un terme au credo défendu par la diplomatie tunisienne depuis l’émergence du conflit sur le Sahara dès les années 1970, en porte-à-faux des positions arabes et africaines sur ce dossier ainsi que du consensus généralement admis par la communauté internationale.

Une posture qui confirme un peu plus les craintes de risque d’isolement du pays sur la scène internationale, au moment où le président Saïed prône l’austérité économique et un modèle collectiviste.

La résolution du conseil de sécurité proroge pour une année se terminant le 31 octobre 2022 le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara et consacre le processus politique comme cadre unique de résolution du conflit.

Rappelons qu’en juin 2019, La Tunisie avait été élue par l’Assemblée générale des Nations unies à New York, membre non-permanent au Conseil de sécurité pour le mandat 2020-2021 avec 191 voix sur un total de 193 pays membres de l’organisation onusienne, pour la quatrième fois de son histoire. Les précédents mandats au cours desquels la Tunisie a occupé le poste de membre non-permanent sont ceux de 1959-1960, 1980-1981, et 2000-2001.

Seif Soudani