Adoption par Kafala : Témoignages de parents

 Adoption par Kafala : Témoignages de parents

crédit photo : Aliyev Alexei Sergeevich/Cultura Creative/AFP


MAGAZINE JANVIER 2018


Nadia et Omar* vivent à Paris depuis plus de dix ans. Il y a quelques années, ils ont adopté un orphelin à travers la procédure judiciaire connue au Maroc sous le nom de “kafala”. Nadia se remémore le parcours laborieux du couple pour réussir à obtenir la garde de l’enfant et l’autorisation de l’élever en France. 


Dans quelles circonstances avez-vous décidé d’avoir recours à la “kafala” ?


Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère marocaine me racontait des histoires d’orphelins recueillis par “kafala”. Je savais que c’était une tradition ancestrale au ­Maghreb. Mon mari et moi ne pouvions pas avoir d’enfant. Nous avons entamé une procédure d’adoption classique en France en 2006, et avons obtenu un agrément. Mais ensuite les délais sont très longs. Il faut patienter trois ou quatre ans en moyenne avant d’être présenté à un enfant. C’est pendant cette ­attente que ma belle-sœur marocaine, qui travaille dans le domaine juridique, m’a parlé des possibilités d’adopter au Maroc par le biais de ce dispositif. Pour solliciter ce type ­d’accueil, il faut que l’un des parents soit marocain et musulman. C’est notre cas : mon mari a vécu plus de vingt ans au Maroc.


 


C’est ainsi que vous avez adopté Amir…


Fin 2008, nous nous sommes rendus dans un orphelinat de Casablanca. Nous avons déposé un dossier ­auprès des autorités marocaines. Le personnel de ­l’orphelinat nous a alors présentés à un bébé de 5 mois qui avait de graves problèmes cardiaques, mais nous ne nous sentions pas prêts à accueillir un enfant avec de tels soucis de santé. Après plusieurs mois, ma belle-sœur m’a mise en contact avec une pouponnière de la ville d’Asfi, où étaient recueillis des enfants abandonnés. En mars 2010, nous sommes partis là-bas et nous avons enfin été présentés à notre fils, Amir, qui avait 6 mois à l’époque. Quatre semaines après notre première rencontre, il nous était confié.


 


Quelles ont été les démarches pour le ramener à ­Paris, où vous vivez ?


C’est à ce moment que commence un parcours du combattant avec les administrations marocaines et françaises. Car, en 2010, recueillir un enfant marocain par “kafala” et l’éduquer en France était une situation encore relativement nouvelle. Nous avons attendu six mois avant de pouvoir ramener Amir avec nous, à Paris. Il n’existe pas encore de procédure administrative nationale au Maroc pour la “kafala”. Nous avons été convoqués par la police marocaine qui a vérifié nos casiers judiciaires en France et au Maroc. Nous avons également eu un entretien avec une autorité des ­affaires religieuses. En parallèle, nous avons fait une ­demande de passeport marocain et entrepris des démarches auprès du consulat français pour obtenir un visa long séjour pour notre enfant. A notre retour en France, l’assistante sociale, qui nous avait suivis pour notre demande d’adoption, nous a rendu visite et a noté que nous avions procédé à une “kafala”. Nous avons alors clôturé notre demande en France.


 


En France, ce statut est méconnu. Quelles sont les conséquences au quotidien ?


Clairement, la “kafala” n’est pas une adoption, même si nous utilisons ce terme dans le langage courant. C’est plutôt une délégation d’autorité parentale. De retour en France, la difficulté est de devoir sans cesse se justifier auprès des administrations, notamment la Caisse d’allocations familiales et la Sécurité sociale, qui connaissent mal cette situation.


 


Aujourd’hui, vous souhaitez adopter Amir, pour quelles raisons ?


C’est une manière de transposer notre acte dans le droit français, même si la procédure est longue. Car, avant que nous puissions l’adopter, Amir doit obtenir la nationalité française. Normalement, en cas de tutelle, un enfant recueilli pendant au moins cinq ans sur le territoire français peut obtenir la nationalité (la “kafala” ne créant aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant, sa transformation en adoption passe par l’obtention de la nationalité française de l’enfant recueilli, ndlr). Mais, pour Amir, nous attendons toujours la ­résolution d’une incohérence administrative entre l’acte de naissance marocain et l’administration française, laquelle reporte l’obtention de la nationalité à 2018. Ensuite, nous pourrons l’adopter. Nous souhaitons faire une adoption simple, et non plénière, pour qu’il puisse garder sa filiation d’origine. De mon point de vue, c’est toujours mieux de savoir d’où l’on vient. C’est une histoire qui lui appartient.


 


Comment va Amir aujourd’hui et que connaît-il de sa propre histoire ?


C’est un garçon de 8 ans plein de vie, qui nous apporte beaucoup. Il est très fort. Nous nous rendons régulièrement au Maroc. Nous l’avons emmené à la pouponnière où il a été recueilli. Il sait qu’il peut se connecter à ce lieu. On ne lui cache rien, mais c’est à lui d’avoir envie ou pas d’explorer son passé.


 


Quels conseils donneriez-vous à des familles qui souhaitent entamer ces démarches ?


Nous nous réjouissons chaque jour de l’arrivée d’Amir dans notre foyer. Aujourd’hui, nous ­envisageons d’accueillir un second enfant marocain de la même manière. Avec du recul, je pense qu’il vaut mieux ­déléguer la partie administrative à un avocat, qui connaît mieux la législation marocaine, et qui permettra d’éviter les écueils rencontrés pendant le parcours. Il est pré­férable aussi de s’appuyer sur des personnes de confiance dans le pays d’adoption, lesquels peuvent faire le lien avec l’enfant pendant la procédure. Enfin, il peut être très utile de se rapprocher des deux principales associations spécialisées dans ce mode d’adoption : Kafala.fr pour le Maroc et l’Apaerk (Association des parents adoptifs recueillis par kalafa, ndlr), plutôt axée sur l’Algérie. J’ai eu connaissance de l’association Kafala en 2014. C’est un réseau très dynamique où l’on peut échanger entre familles, par exemple sur les démarches administratives. Ils organisent notamment des goûters entre enfants recueillis. Ce sont toujours des moments très chaleureux. 


* Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes interviewées


 


ENCADRE : UNE PROCÉDURE NON RECONNUE PAR LE DROIT FRANÇAIS


Le Maroc ou l’Algérie ne reconnaissent pas l’adoption (contrairement à la Tunisie), mais un système de tutelle appelé “kafala”. Dans ces pays, il est coutumier qu’un enfant soit confié à un membre de sa famille éloignée en cas de décès des parents ou d’abandon. Il conserve son nom d’origine et il est recueilli jusqu’à sa majorité uniquement. Contrairement à une adoption, la “kafala” ne crée pas de lien de filiation et ne confère pas les mêmes droits que ceux d’un enfant biologique. Chaque année en France, entre 300 à 400 couples accueillent un enfant sous ce régime, pas vraiment reconnu par le droit français. “Tant que l’enfant possède la nationalité étrangère, l’adoption ne peut pas être prononcée en France, par conséquent, l’enfant reste un tiers vis-à-vis du recueillant et ne bénéficie d’aucune protection personnelle ou patrimoniale”, rappelle l’avocate à la cour de Paris Sonia Ben Mansour.

Manon Aubel