Avocat. De plus en plus de Franco-Maghrébins issus du milieu ouvrier enfilent la robe

 Avocat. De plus en plus de Franco-Maghrébins issus du milieu ouvrier enfilent la robe

De gauche à droite : Myriam Bouaffassa


Le comptage ethnique n’étant pas autorisé en France, il est difficile de savoir leur nombre. Une chose est sûre : on rencontre de plus en plus d’avocats franco-maghrébins dans les tribunaux. 


« Il y a vingt ans quand j’ai commencé à travailler au Palais de Justice de Paris, il n’y en avait quasiment pas », confirme Hanane, une employée qui souhaite garder l’anonymat. «Aujourd’hui, il n’y a pas un jour qui passe sans que j’en croise un. Je discute souvent avec eux. Même s’ils ont des profils différents, leurs parcours et leurs motivations se ressemblent beaucoup », continue-t-elle. 



Sarah El Hammouti, 30 ans est originaire de Nantes. Elève brillante, elle a obtenu son diplôme d'avocat à 23 ans. Elle exerce aujourd’hui au barreau de Paris. « J’avais envie de faire un métier pour lequel je me sentais utile et défendre mon idéal de justice, faire avancer les choses et faire entendre ma voix », explique la trentenaire, dont les parents sont originaires du Maroc. C’est en classe de 3e au collège que Sarah sait qu’un jour, elle deviendra avocate. « On étudiait en classe « Le dernier jour du condamné » de Victor Hugo. J’ai fait ma première plaidoirie fictive en 3e sur la peine de mort. C’était un moment tellement fort que je ne l'oublierai jamais». 



Cette soif de justice, on la retrouve aussi chez Myriam Bouaffassa. Comme Sarah, c’est son dégoût pour les injustices qui l'a poussée à faire du droit. « Quand je défends quelqu’un, je pense à mes parents ouvriers qui, comme beaucoup, ont courbé l’échine de peur de se faire renvoyer de leur travail », témoigne cette trentenaire, originaire de Besançon qui a obtenu son diplôme d’avocate en 2011, après avoir obtenu sa maitrise à Strasbourg. Ce n’est donc pas un hasard si Myriam a commencé dans un cabinet parisien spécialisé dans la défense des salariés. Une belle expérience, où elle avoue avoir énormément appris et « pas seulement sur le métier d’avocat ». « Il y avait de vrais convictions dans notre travail. Presque du militantisme. Une vraie envie de redonner le sourire à ces salariés qui en perdant leur travail perdait tout, jusqu’à leur dignité », se souvient celle qui exerce à son compte depuis 2015. 



Hosni Maati aurait pu être médecin. Jusqu’en 1ère, c’est d’ailleurs ce qu’il voulait faire. « Je déteste les injustices. Encore aujourd'hui, c’est cette détestation qui reste ma principale source de motivation dans mon travail. Quand on est un fils d'immigré, on a souvent le sentiment d'être traité différemment », martèle-t-il. Hosni n’avait aucune idée de ce que pouvait être le métier d’avocat. « Je suis l’aîné d'une famille de cinq enfants. Quand je me suis lancé dans des études de droit, je n’avais jamais rencontré un juriste de ma vie. Les seuls avocats que je connaissais étaient ceux que je voyais à la télé », raille Hosni. 



Avoir envie est une chose, réussir en est une autre. Pour les trois, décrocher le fameux sésame, n’a pas été une mince affaire. « Les études étaient prenantes mais passionnantes. Ce qui était dur pour moi, c’était d’être loin de la famille et de ne pas avoir de ressources à l’époque », dit Sarah, qui avoue avec le recul, que ces difficultés ont fait qu'elle n’a pas lâché.  Même souci économique pour Myriam qui a dû trouver, comme beaucoup d’étudiants aux faibles moyens, un job. « J’ai fait de l’animation. J’ai été nounou, pion. J’ai bossé au Mac Do. J’ai même travaillé à l’usine », se remémore-t-elle.  Pour Hosni, en plus « des petits boulots », il a dû gérer la paternité. 

«Mon fils est d'ailleurs présent sur mes photos de prestation de serment. C’était, vu le peu de temps que je lui avais consacré pour réussir mon examen, la meilleure récompense que je pouvais lui offrir », pointe-t-il fièrement. 


La récompense et la fierté des leurs ont été également pour les trois une source de motivation supplémentaire. Myriam : «C’est vrai que d’avoir des parents ouvriers, ce n’est pas anodin. Quand c’était dur, je pensais très fort à eux, à leur parcours et je me disais que je n’avais pas le droit de lâcher». Sarah : « Mes parents ont été à mes côtés du début jusqu’à la fin. Chaque épreuve, les bonnes et les moins bonnes, a été partagée avec ces derniers. Je savais que j’irai jusqu’au bout. Ma famille a toujours été fière et j’espère qu’elle le sera toujours. Nous sommes tous très proches. ».



Hosni : « Faire la fierté de mes parents, de ma famille mais aussi celle de ma femme et mon fils après des années d'efforts et d'abnégation procure un sentiment particulièrement satisfaisant. Ils sont en partie responsable de ma réussite ». 



Le diplôme en poche, Hosni croyait avoir fait le plus dur. Il se trompait. Malgré de nombreux stages dans des cabinets prestigieux, il peine à trouver un poste de collaborateur. « On m’avait toujours dit que je devais en faire plus, voilà que j’en avais trop fait ! », ironise ce dernier. Alors, Hosni décide d’ouvrir son propre cabinet. Il se fait très vite un réseau et se spécialise dans le droit de la presse. « Après plus de dix années d'exercice, je continue d'apprendre et surtout je sais que le combat continue », positive l’avocat qui vit aujourd’hui de son métier. 



Après avoir évolué en tant que collaboratrice dans des cabinets d’affaires, Sarah a ouvert son propre cabinet. Elle a vraiment le sentiment d'avoir trouvé sa voie. « J’adore mon métier qui me définit beaucoup aujourd’hui. Chaque matin, je me lève avec l’envie de relever de nouveaux défis. Ce métier n’est pas routinier. Le métier d’avocat n’est pas facile mais il est passionnant », s'enthousiasme-t-elle. Comme Hosni, Sarah a créé son réseau et semble être sur la bonne voie. 



Comme ses deux collègues, Myriam s’est elle aussi lancée dans l’aventure individuelle mais elle est la seule des trois à vouloir changer de route. «Je me donne encore deux ans, puis je ferai autre chose.  Malgré le fait que ce soit un métier passionnant, c’est épuisant physiquement et moralement. On est des éponges et on fait face à des situations très difficiles auxquelles ont ne peut pas rester insensible », pointe l'avocate.


« Il y a une vraie paupérisation de la profession. Les charges de plus en plus lourdes nous poussent à beaucoup travailler. Ce qui ne permet pas d’exercer sereinement sa mission », regrette Myriam qui connaît d’autres collègues qui pensent aussi à changer de métier. « Il faut penser à sa santé et je suis persuadée qu’il y a une vie après le métier d’avocat », conclut-elle.

Nadir Dendoune