La Tribune

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La comédienne franco-maghrébine Sonia Amori. Crédit photo : Facebook / Sonia Amori


Suite à notre dossier Sexe et Fantasmes, de la Mauresque à la « Beurette »  paru en septembre, nous avons reçu diverses réactions. Si certaines femmes évitent de « s’exposer en parlant directement de leur expérience » car selon elles, cela ne fera « pas bouger les lignes » et préfèrent « aller vers d’autres horizons car en France tout semble pipé ». D’autres, comme la comédienne Sonia Amori pensent au contraire qu’il faut prendre la parole. Elle nous a fait parvenir une tribune que nous publions.


Tribune


Je m'appelle Sonia Amori, et Amori n'est pas mon nom. Amori, est le nom que l'irremplaçable directrice de casting, Shula Siegfried, m'a donné pour débuter ma carrière de comédienne. Shula voulait me protéger de ce monde. << Tu as de la chance d'avoir la peau blanche, prend ce nom et fais toi passer pour une italienne ce sera plus facile >>


Beaucoup pensent qu'être atypique aide à s'intégrer en France. C'est tristement vrai dans la rue mais complètement faux dans le cinéma ou ce sont les types et archétypes qui travaillent. Pendant ces années de castings << Clichés >> j'avais l'impression d'être le vilain petit canard, je ne trouvais pas ma place.


En septembre 2018, je découvre le dossier  << De la Mauresque à la Beurette >> du courrier de l'Atlas. Ce dossier a fait remonter en moi tellement de colère que je ne savais plus quoi faire. J'avais envie de faire bouger les choses. Pourquoi ça n'avance pas plus vite ? Pourquoi ces clichés nous collent à la peau ? Sommes nous si minoritaires pour ne pas réussir à prendre, notre place, dans la société française ?


J'ai alors eu l'idée d'une tribune pour ouvrir le chemin d'une réflexion commune, et demandé à la journaliste Manal Khallou de porter par sa plume ce texte, que je vous propose de lire aujourd'hui. Il est le fruit de la réflexion de femmes qui me font l'honneur de le signer.


En espérant que ce travail collectif vous donnera l'envie de nous aider à sortir de ces << clichés >>


Sonia Amroun dite Amori


 


Nous ne sommes pas celles que vous aimeriez que nous soyons


Nous sommes celles que vous qualifiez de beurettes à chicha, de michetonneuses, les fausses vertueuses prétendument pudiques. Nous sommes celles que vous regardez comme des racailles, des filles au français inélégant et argotique, à la colère incontenable et aux manières inciviles. Nous sommes celles qui suscitent votre méfiance ou votre mépris,  les voleuses, les prostituées, les promotions canapé. Oui c’est nous les soumises au joug du patriarcat arabo-musulman, éternelles victimes d’un frère, d’un père ou d’un époux bourreau. Nous sommes les pauvres voilées qui n’ont rien compris au féminisme, aux valeurs républicaines et qui ne demandent qu’à être libérées par le mâle blanc.


Enfin. Nous, ce sont elles. Celles que vous aimeriez que nous soyons, celles que vous fantasmez et que vous vous plaisez à confiner dans des boîtes minutieusement étiquetées : beurette, racaille, fille facile, soumise, et maintenant « beurgeoise », car même quand nous ne correspondons à aucun cliché, la tentation est irrésistible de créer de nouvelles cases où nous enfermer. L’étiquetage est intempestif. Les conséquences sont quant à elles immédiates.


Ces représentations ont une incidence directe sur nous, femmes françaises, d’ascendance nord-africaine, sur la place en société qu’on nous refuse, le plafond de verre est pour nous encore plus épais. Et lorsque nous ne correspondons pas à ces clichés, alors nous sommes « l’exception ». L’exception étant par définition ce qui déroge à la norme dominante, nous serions donc marginales, une minorité.


Nous sommes invisibilisées car nous ne correspondons pas à cette représentation fantasmée et binaire, héritée de l’époque coloniale de « LA femme nord-africaine ». Nous ne sommes ni la pauvre soumise qui a besoin d’être libérée de l’homme arabe, ni celle qui tente désespérément de s’émanciper par la sexualité grâce à l’homme blanc.


Mais qu’en est-il de nous ? Nous les entrepreneures, nous les cadres, nous les comédiennes, nous les danseuses, nous les auteures, nous les journalistes, nous les médecins, nous les juristes, nous les mères de famille, nous les étudiantes. Qu’en est-il de nous aussi qui n’avons pas pu accéder à ces positions ? Qu’en est-il de nous qui avons été mises de côté par un système excluant, qui exerçons des métiers que vous pensez subalternes mais qui continuons de lutter, de lutter contre votre mépris, de lutter pour notre dignité, pour nos droits.


Nous refusons d’être hypersexualisées, nous refusons d’être amoindries, nous refusons d’être catégorisées, étiquetées et réduites à des clichés stigmatisants. Nous refusons de continuer à alimenter les caricatures.


Nous existons dans toutes les strates de la société. Nous sommes votre collègue, votre voisine, votre amie. Nous sommes votre humoriste préférée, la chanteuse que vous écoutez à la radio, nous sommes celles qui vous permettent de travailler dans des bureaux propres, nous sommes les corps qui vous divertissent, les créatrices des vêtements que vous portez, les auteures des livres que vous lisez. Nous sommes partout et nous sommes, tout simplement.


Nous revendiquons le droit d’assumer notre nord-africanité sans pour autant être renvoyées à l’exotisme et au folklore. Nous revendiquons le droit d’avoir une identité multiple, hybride, fruit d’un mélange unique entre plusieurs cultures. Nous, les invisibilisées, nous revendiquons le droit inaliénable d’être individualisées. La femme nord-africaine n’existe pas. Il n’y a que des femmes nord-africaines. Des êtres uniques, singuliers.


Nous sommes porteuses de propositions, de changements. Sur les réseaux sociaux, à travers notre art, nos danses, nos écrits, nous luttons. La puissance de la culture et des réseaux sociaux est réelle, ne la sous-estimons pas. Utilisons-les pour nous rassembler, pour porter nos voix plurielles.


Aujourd’hui, nous sommes dix à porter cette tribune, combien serons-nous demain ?


Alors, à toutes les femmes et les filles de l’invisible, nous vous invitons à rejoindre cet appel : exprimez-vous, rejoignez-nous, vous n’êtes pas seules, prenez la parole, n’attendez pas qu’on vous la donne.


Les signataires


Manal Khallou, Sonia Amori, Raïssa Leï, Halima Guerroumi, Ari de B, Sophia Lilya Hocini, Nawel Ben Kraiem, Attika Trabelsi, Leïla Bouzouaïd, Hadjer Mehdaoui.




Manal Khallou, journaliste

Il faudrait d’abord qu’on arrête de parler de « LA » femme maghrébine ou nord-africaine, comme si nous n’étions qu’un bloc  homogène de femmes. Nous sommes plurielles et nous devrions davantage être représentées en tant que telles dans les médias, le cinéma et les arts en général. Pour ça, il faut une réelle diversité dans les postes décisionnaires pour qu’on ne finance pas uniquement les projets artistiques « sensationnels» où les femmes nord-africaines cristallisent tous les fantasmes de l’exotisme et de l’orientalisme.



Raïssa Leï, ingénieure financier et chorégraphe

On est figé dans le passé. Les médias ne mettent pas assez en avant notre créativité. Il faut recréer du lien Nord-Sud autrement qu’avec le passé colonial. Dans ma jeunesse, j’ai manqué de modèles crédibles. Il faut une meilleure représentativité pour permettre aux petites filles nord-africaines de se projeter.


Halima Guerroumi, professeure d’histoire de l’art

Apporter une histoire à toute cette immigration et présence maghrébine en France. Parler de l’immigration féminine, des femmes qui émigrent seules. Aujourd’hui, on ne sait pas ce que c’est que la marche des beurs. Il faut raconter notre propre histoire sur le territoire dans lequel on vit. Tout est question de transmettre. Nos jeunes qui seront parents vont transmettre une nouvelle image. On doit s’approprier nos représentations à travers la musique, la mode et tous les domaines.


Ari de B, chorégraphe et danseuse

Il faut que la France respecte son devoir de mémoire. La France doit dire : « J’ai été colonisatrice ». La France ne s’est jamais excusée pour la guerre d’Algérie. Une autre forme de militantisme à travers l’art est nécessaire. Je ne veux pas juste danser. « Décoloniser le dancefloor ». Je danse ce que je raconte et je raconte ce que je danse. C’est une conférence militante avant tout. Il ne faut pas sous-estimer la puissance de la culture et des réseaux sociaux.



Sophia Lilya Hocini, auteure et responsable des partenariats au sein de 

la ZEP


On est éduqué à avoir l’image du pauvre, de la racaille, de la fille séquestrée chez elle. Moi enfant je ne me reconnaissais pas dedans. On éduque les filles à rester dans ces stéréotypes-là. Il faudrait accompagner les femmes qui sont dans l’autocensure. Permettre leur empowerment. Que chaque femme se sente légitime, notamment les nord-africaines.



Nawel Ben Kraiem, compositrice et interprète


Pour combattre ces représentations il faut d’abord avoir conscience de ces injonctions pour ne pas y répondre ou pour pouvoir en jouer. En assumant une identité plurielle, en portant haut mon nom arabe et mon visage blond, en tordant le cou aux stéréotypes, en sortant la langue arabe du « folklore » où on l’attend, en faisant coexister ma pop, ma poésie, ma nord-africanité, ma spiritualité, mon côté populaire et mon côté plus « intello », bref en assumant d’être multiple, hybride, libre, j’espère participer à diversifier et enrichir la représentation de ce que peut être une femme maghrébine ou franco-maghrébine en France.



Attika Trabelsi, Consultante en stratégie de communication

A mon sens, c'est avant tout par la réappropriation de nos récits et de nos narrations que nous parviendrons à changer les perceptions. Nos vécus, nos histoires en tant que femmes racisées ont bien trop souvent été invisibilisés ou fantasmés. Pour y parvenir, il convient donc de se réapproprier nos récits mais aussi les espaces. Tous les espaces. Alors il est plus que nécessairement d’être présente socialement, médiatiquement, politiquement, et ce quotidiennement pour imposer nos propres agendas, et faire valoir nos paroles de concernées. Au final, s'assumer, se respecter, c'est déjà inspirer !



Leïla Bouzouaïd, Consultante en communication

Si nous voulons déconstruire ces représentations il va falloir construire et non attendre qu’on le fasse pour nous. La déconstruction ne peut venir que de nos actions.  Sans tomber dans la victimisation, nous devons montrer que Nous Sommes. Comment ?  En nous appropriant et en transmettant  notre histoire,  en agissant dans les associations, en prenant la parole -parole qui aujourd’hui nous est constamment confisquée- en faisant en sorte que notre pluralité soit notre force et non objet de division …


Voir le dossier "De la Mauresque à la Beurette" : 


De la mauresque à la « beurette »


Pascal Blanchard : « le fantasme écrase le réel »


Shéhérazade et autres clichés sur grand écran


Zahia Dehar, courtisane moderne


Bienvenue en « Beurettocratie »

Fadwa Miadi