Les Sages confirment le rôle de police des compagnies aériennes

 Les Sages confirment le rôle de police des compagnies aériennes


Saisi par la compagnie Air France dans le cadre d’un différend qui l’oppose à l’État, le Conseil constitutionnel a donné raison à ce dernier et confirmé la responsabilité des transporteurs aériens et maritimes notamment dans le contrôle de l’accès au territoire français. Un rôle croissant que ces entreprises dénoncent. 


Les « Sages » étaient saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) introduite par Air France cet été. Après s’être vu infliger deux amendes de 5 000 euros en 2016, la compagnie aérienne française s’est tournée vers la justice pour contester le fondement de deux articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Elle estime qu’on lui demande de se substituer à la police aux frontières.


Mais, le Conseil confirme que les transporteurs aériens et maritimes vont continuer de payer de lourdes amendes si des étrangers en situation irrégulière débarquent sur le sol français à leur bord. Dans sa décision, il dispose que ce type d’entreprise est passible d’une amende maximale de 10 000 euros (contre 5 000 à l’époque des faits contestés) si elle « débarque sur le territoire français » un étranger « non-ressortissant d’un État de l’Union européenne et démuni du document de voyage » requis, par exemple un visa valide.


Seules deux exceptions à cette règle : si l’étranger a été admis au titre d’une demande d’asile qui n’est pas « manifestement infondée », ou si le transporteur a jugé que les documents présentés ne comportaient « pas d’élément d’irrégularité manifeste ».


Si les transporteurs sont tenus de vérifier les documents des voyageurs en application des textes européens, « le législateur n’a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l’État en vue de leur délivrance et lors de l’entrée de l’étranger sur le territoire national », a nuancé le Conseil constitutionnel. Selon les « Sages », les dispositions du Ceseda doivent donc « être déclarées conformes à la Constitution ».


 


Un accent aigu en trop


Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a reconnu l’interdiction de « déléguer à des personnes privées des compétences de police », mais il a également rappelé l’obligation faite aux transporteurs d’exercer un « examen normalement attentif » des documents.


La compagnie estime que l’État lui délègue bien des opérations de contrôle de l’immigration clandestine qui incombent aux autorités, pour « pallier la baisse des effectifs de police ». « Les transporteurs sont sanctionnés pour des missions qui relèvent du maintien de l’ordre », a encore déploré Me Cédric Uzan-Sarano, avocat d’Air France à l’audience présidée par Laurent Fabius. « Les demandes qui lui sont faites excèdent largement le cadre des fraudes manifestes », ajoute-t-il.


Lors d’une audience, la compagnie a plaidé qu’elle ne pouvait être sanctionnée lorsqu’elle ne détectait pas une anomalie dans le document qui avait échappé même aux autorités. Dans l’un des cas pour lesquels Air France a écopé d’une amende, l’agent de la compagnie n’a pas su repérer un accent aigu indûment présent sur les mots « date d’expiration », inscrits sur le document frauduleux, que le consulat non plus n’avait pas remarqué en accordant le visa.


 


Enjeux financiers contre droit d’asile


Présente également lors de l’audience, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), s’est dite « très déçue » par la décision. Elle met surtout en garde contre les « conséquences pour les demandeurs d’asile qui vont continuer de faire l’objet de contrôles préventifs, car pour les transporteurs, l’enjeu est financier ». L’Anafé constate déjà que dans certains aéroports, pour les vols à destination de la France, des « sociétés privées de sécurité » multiplient les contrôles d’identité avant embarquement.


« C’est dramatique pour les personnes qui ont un besoin vital de partir, de bénéficier d’une protection », résume Laure Palun, directrice de l’association. Car, dit-elle, « si elles ne prennent plus l’avion, elles prendront un autre chemin, plus dangereux, ça nourrit les réseaux de traite d’êtres humains ». « Ceux pour qui c’est une question de survie, de toute façon, ils partiront. »


(Avec AFP)

Rached Cherif