Faire du Maroc le royaume du kayak

 Faire du Maroc le royaume du kayak

crédit photo : Balint Vekassy/canoephotography.com/AFP


Père de famille, spécialiste en communication digitale, Abdelmajid Jabbour concourt depuis 2011 pour le Maroc comme kayakiste. Au bassin aquatique de Mantes-la-Jolie, au pied du Val-Fourré, où il s’entraîne quatre heures par jour, il nous reçoit pour évoquer son parcours et, sujet qui lui tient à cœur, le développement de son sport dans le Royaume. 


“J’ai commencé le kayak à 14 ans au club de Limay (Yvelines, ndlr) où évoluait mon grand frère. J’ai eu l’impression de me jeter dans l’inconnu”, confie Abdelmajid Jabbour en souriant. Les débuts sont difficiles, “il faut réussir à maîtriser l’eau comme lorsqu’on apprend à nager”. Et, passé le premier hiver, “quand les mains commencent à geler, beaucoup abandonnent.” Lui y prend goût. Pas au froid mais au plaisir de passer son temps sur l’eau au sein d’un bon groupe. A 17 ans, le Franco-Marocain découvre l’univers des compétitions tout en continuant à être très assidu en cours. “Je ne pouvais aller à l’entraînement que si je ­ramenais de bonnes notes. C’est une école de vie.”


Originaire de Ouarzazate, le jeune homme rêve de représenter son pays en compétition internationale. “Dès que j’ai obtenu des petits résultats en France, j’ai tenté ma chance mais, à l’époque, c’était verrouillé.” En effet, le ­canoë-kayak est alors peu développé dans le Royaume, et les seuls qui se présentent aux compétitions sont des “fils de”. “Il y avait le fils du président de la fédération, du trésorier, et quand on voyait le niveau, on comprenait…”


 


Le roi du système D


En 2011, le Maroc le contacte. “Un programme royal pour les Jeux olympiques de Londres était mis en place. Ils voulaient présenter des Marocains dans des disciplines où le pays n’avait jamais été présent”. Malgré cette sollici­tation tardive, Abdelmajid se qualifie pour les championnats du monde, où il fait une petite finale (il termine 27e). “C’était inespéré pour moi !” Malheureusement, la ­sélection olympique au Mozambique se passe très mal (voir l’encadré). A son retour, il jette l’éponge. Ecœuré de voir un Egyptien qualifié “à sa place” aux JO de Londres, il part en vacances pour se changer les idées.


En milieu d’année suivante, le nouveau président de la fédération le contacte. “C’était un colonel, très carré. Il m’a dit que tout le monde avait été sanctionné après le fiasco du Mozambique et qu’il souhaitait que je les aide.” Très attaché à son pays d’origine, Abdelmajid Jabbour ­accepte. Depuis, chaque année, il participe au championnat du monde, à la Coupe du monde et au championnat d’Afrique. Et, bien souvent, il doit se débrouiller : “Ils me disent qu’ils vont me rembourser les billets, mais ils ne le font presque jamais.” En compétition internationale, c’est l’équipe de France qui transporte son bateau, et pour la combinaison, c’est système D. “Le président de la fédération m’envoyait des joggings pas à ma taille, des faux Lacoste achetés au ­marché de Casa. Je me procurais une combinaison et je la floquais moi-même.” Ces anecdotes le font sourire. Le champion ne reproche rien à la fédération : “Tu ne peux pas leur en vouloir, car il y a tout à développer là-bas.”


Justement, le jeune homme se demande si le vieux matériel de son club ne pourrait pas les aider. “Au fur et à mesure, on a récupéré 60 bateaux et tout le balisage du bassin, ainsi qu’une vieille remorque.” La fédération marocaine achète pour 4 500 euros un matériel qui coûtait “25 000 euros d’occasion”. Et le Royaume devient le ­second pays du continent, après l’Afrique du Sud, à ­disposer d’un plan d’eau de canoë-kayak de course en ligne aux normes internationales, à Khémisset. “En me rendant sur place, j’ai constaté la pertinence de cet investissement. A peine un homme sortait d’un kayak qu’un autre prenait sa place. On avait créé un vrai appel d’air.” Abdelmajid Jabbour ne s’arrête pas là. Il crée un petit buzz dans le milieu et plusieurs clubs donnent des ­bateaux. “Grâce à leur générosité, on en a déjà récupéré huit. Le transport coûte 2 500 euros, soit le prix d’un seul bateau de moyenne gamme. Mon objectif est d’en mettre 60 dans un container.”


 


Finir en apothéose


Ravi de voir arriver un autre jeune kayakiste marocain talentueux, Oussama Boussera, dans le nord de la France, il se prépare à faire les championnats du monde avec lui, avant de finir en apothéose sa carrière internationale avec les championnats d’Afrique organisés fin août-­début septembre au Maroc. Un bon moyen de boucler la boucle sur ce magnifique plan d’eau qui lui doit tant. 


 


HOLD-UP AU MOZAMBIQUE


Fin 2011, c’est la sélection olympique africaine au Mozambique. Abdelmajid Jabbour quitte Paris avec Hakim El Mouden, son coéquipier marocain issu de son club. Direction Maputo. “A l’époque, en kayak, le Maroc est l’ennemi juré du Mozambique”, précise-t-il. A leur arrivée, les bagages contenant leurs pagaies sont introuvables. Deux jours plus tard, ils reçoivent la valise d’Hakim, “on s’est partagé ses affaires”. Tous les deux favoris (il fallait qu’on fasse nos courses habituelles pour être aux JO”), ils partent pour cinq heures de taxi-brousse. Le lendemain, ils s’apprêtent à se rendre aux qualifications quand soudain, on frappe à leur porte. “C’est vous la sélection marocaine ? Vous payez l’hôtel, vous montez dans le taxi et vous dégagez !” lance un militaire. Ils se retrouvent contraints de quitter les lieux. “On s’est fait extorquer 500 dollars pour la nuit d’hôtel et 600 pour le retour en taxi !” Mais ils gardent espoir : “On s’est dit que lorsqu’on t’empêche de courir, alors que tu es dans les meilleurs, avec le CIO et l’esprit de l’olympisme, on serait qualifiés.” Nenni !



COMPÉTITION À L’ÉGYPTIENNE


En 2016, les championnats d’Afrique se déroulent à Alexandrie. “Je n’avais jamais vu un truc pareil”, se remémore Abdelmajid Jabbour. Habitué à l’organisation européenne rigoureuse, le natif de Mantes-la-Jolie se retrouve au cœur d’un “joyeux bordel”. “La compétition devait commencer à 9 heures, mais personne n’arrivait avant 10 heures. Et, en attendant que les courses commencent, finalement à midi, les athlètes égyptiens ont sorti les enceintes et mis de la musique.” Problème : au moment de lancer la compétition, il manque des personnes pour tenir les bateaux sur la ligne de départ. “Ils nous on dit alors, ‘il n’y en a que quatre, alors on va faire courir les épreuves où il n’y a que quatre bateaux’.” Le vendredi, la compétition est stoppée pour la prière organisée dans une mosquée aménagée sur place, “pas habituel, mais ça m’allait bien vu que je suis pratiquant”. La course finit par avoir lieu. Mais au moment du départ, son bateau est retenu.“Il fallait que l’Egyptien soit sur le podium, donc on m’a bloqué”, conclut-il à la fois amusé et dépité.


MAGAZINE FEVRIER 2018

Jonathan Ardines