« Un salafiste n’est pas forcément radicalisé », Mourad Benchellali, ancien prisonnier à Guantanamo

 « Un salafiste n’est pas forcément radicalisé », Mourad Benchellali, ancien prisonnier à Guantanamo

Mourad Benchellali, ancien détenu de Guantanamo. Photo : © Céline Martelet

Barack Obama avait promis de la fermer, mais 20 ans après sa création, la prison de Guantanamo abrite toujours des détenus à Cuba. Depuis 2002, 780 détenus ont été emprisonnés. Ils sont encore 39 à y croupir. Mourad Benchellali est un « ancien de Guantanamo ». La vie de ce Lyonnais aujourd’hui âgé de 40 ans bascule en 2001. Deux mois avant le 11 septembre, il part en Afghanistan. Capturé puis détenu sur la base américaine de Guantanamo, il sera incarcéré 18 mois à son retour en France. Depuis 15 ans maintenant, Mourad Benchellali s’efforce de prévenir la radicalisation violente … Rencontre. 

 

LCDL : Il y a 20 ans, les États-Unis ouvraient Guantanamo

Mourad Benchellali : Oui et on aurait pu croire qu’après toutes les atrocités qui y ont été commises au mépris du droit international, elle serait aujourd’hui fermée. Les États-Unis, la plus grande démocratie au monde, ont emprisonné des personnes dans l’arbitraire le plus total. Même si la torture semble avoir disparu aujourd’hui, c’est une grave erreur de la maintenir ouverte. L’existence même de Guantanamo donne du grain à moudre à la propagande djihadiste. Les terroristes disent, regardez, les mécréants ne sont pas meilleurs que nous.

Comment expliquez-vous que des Français puissent être attirés par la propagande djihadiste ?

Il y a plusieurs facteurs, j’en retiendrai un en particulier : le malaise identitaire. Certains se construisent dans l’idée que la France ne veut pas d’eux et peuvent être donc attirés par ces discours de haine. En entrant dans un islam radical, ils pensent avoir trouvé une identité. Et la radicalisation c’est d’abord le fait de s’enfermer dans une identité unique.

L’un des bras droits de Valérie Pécresse, Eric Ciotti, s’est dit favorable à un « Guantanamo à la française ». Qu’en pensez-vous ? 

Si un jour un tel camp venait à voir le jour en France, ce serait non seulement une grave erreur qui irait à l’encontre du pays que nous sommes, le pays des droits de l’homme. C’est aussi un projet inutile. La France a déjà un long arsenal de lois anti-terroristes qui suffit largement. Il faudrait à mon avis mettre plus de moyens sur la prévention.

Qui est le sens même de votre travail … 

Oui. Depuis 15 ans, je tente de prévenir la radicalisation violente. Dans mes interventions, que ce soit avec des élèves, ou des adultes, j’informe sur les dangers de l’embrigadement.

J’essaie d’expliquer aussi aux pouvoirs publics qu’un salafiste n’est pas forcément radicalisé, se laisser pousser la barbe ou commencer à porter le voile ne veut pas nécessairement dire que la personne se radicalise.

Vous accompagnez aussi d’anciens détenus dans leur réinsertion

Oui, j’essaie de les informer sur les vraies valeurs que véhicule l’islam. Je leur dis et leur montre ce que font les djihadistes. Ils ont tendance à les « fantasmer » et ne se rendent pas vraiment compte de leur barbarie.

Parfois, mon discours fait mouche, d’autres fois non. C’est très difficile pour certains, les plus radicalisés, de changer d’avis …

D’où la nécessité d’aller à la rencontre des plus jeunes

Effectivement. Toutes ces rencontres dans les collèges et lycées sont essentielles. Malheureusement, il y a de moins en moins de moyens alloués à la prévention de la radicalisation. Par exemple, depuis 3-4 ans, les initiatives dans les écoles ont diminué …

Comment l’expliquez-vous ? 

Une partie de la classe politique actuelle juge à tort que la menace djihadiste serait « derrière » nous. C’est encore là une grave erreur. Je suis dans l’idée qu’il vaut mieux prévenir que guérir, ne pas attendre que les gens reviennent de « zones » pour agir. La menace, même si elle est moins visible, est toujours là.

Avez-vous parfois des difficultés à « vous faire accepter »? 

Certaines institutions considèrent que je suis un atout et d’autres, un problème. Elles remettent en cause la sincérité de mon combat à cause de mon passé. Je serais, selon elles, dans une mission d’infiltration. Parmi les radicalisés, certains vont considérer que je suis un traître, d’autres pensent que grâce à mon vécu, je suis plus légitime que d’autres pour en parler.

Êtes-vous tout de même optimiste ?

Il faut l’être, même si parfois c’est difficile et on se sent démuni. Si on n’est pas optimiste, on ne fait plus rien. Je me sens souvent minoritaire dans mes prises de position, mais comme je sais que mon combat est utile, je continue. J’en ai encore la force, mais je ne ferai pas ça toute ma vie. Je me rends compte de plus en plus que je me suis enfermé dans toutes ces histoires. Des histoires qui me ramènent à mon passé et qui m’empêchent parfois d’avancer.

 

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Nadir Dendoune