Cinéma. « Nos frangins » de Bouchareb laisse un goût amer à la famille Benyahia

 Cinéma. « Nos frangins » de Bouchareb laisse un goût amer à la famille Benyahia

La famille Benyahia à la projection de « Nos frangins », au cinéma L’étoile de la Courneuve, le 3 décembre 2022. À gauche, Mustapha, en compagnie de sa fille et de deux de ses frères. Photo : Nadir Dendoune

Ce 7 décembre sort en salles « Nos frangins ». Dans ce film, le réalisateur Rachid Bouchareb mêle deux histoires tragiques, celle de Malik Oussekine et celle d’Abdel Benyahia. 

Le 6 décembre 1986, Malik Oussekine meurt sous les coups de la police, poursuivi puis frappé à mort par les voltigeurs, après une manif étudiante contre la loi Devaquet. La même nuit, à Aubervilliers, un inspecteur de police tue Abdel Benyahia dans un café. L’inspecteur avait 1,84 g d’alcool dans le sang et n’était pas en service.

« Nos frangins », salué par la presse pour « sa justesse et sa force », laisse pourtant un goût amer à la famille Benyahia qui se sent trahie par l’œuvre de Bouchareb et notamment par le personnage qui incarne leur père à l’écran. Nous avons rencontré Mustapha, l’un des frères d’Abdel. 

Cinéma. « Nos frangins » de Bouchareb laisse un goût amer à la famille Benyahia
Projection de « Nos frangins » de Rachid Bouchareb, au cinéma L’étoile de la Courneuve, le 3 décembre 2022. Photo : Nadir Dendoune

 

LCDJ : On vous sent très remontés…

Mustapha Benyahia : Qui ne le serait pas ? Nous voulions attendre de voir le film avant de pouvoir nous exprimer. Il y a trois semaines, nous avons assisté à une projection à Paris. Nous sommes ressortis du film écoeurés. 

En préambule, je tiens à rappeler que nous avons appris l’existence de ce film qu’en mai dernier, quand il a été sélectionné à Cannes. Si Rachid Bouchareb n’a pas jugé utile de nous contacter, Antoine Chevrollier, le réalisateur de la série sur Malik Oussekine diffusée sur la chaîne Disney, lui, nous a appelés pour nous demander l’autorisation de reproduire la banderole avec le portrait de notre frère Abdel et nous avons accepté avec plaisir. 

« Nos frangins » de Bouchareb permet tout de même de faire connaître au grand public l’histoire tragique et trop peu méconnue de votre frère…

Effectivement, mais il déforme la réalité. Par exemple, l’un des rôles principaux de ce film est celui de notre père. Notre père est décrit comme un personnage effacé et hagard qui subit et accepte sans broncher les injustices. 

Rachid Bouchareb donne une mauvaise image de la première génération d’immigrés. Mon père ne rasait pas les murs, il était membre du FLN. Le 8 décembre 1986, soit deux jours après le drame, notre père prend la parole lors d’une conférence de presse à La Courneuve et le lendemain, il est en tête de cortège d’une manifestation qui part de la cité des 4000 où nous habitions alors jusqu’aux Quatre Chemins d’Aubervilliers, où mon frère a été tué. 

Toute ma famille est alors présente, y compris ma mère. Et ça sera encore le cas dans tous les autres rassemblements. Dans le film, rien de tout ça. Alors certes, il s’agit d’une fiction cinématographique, mais le cinéma ne permet pas tout et n’importe quoi, surtout lorsqu’il s’agit de faits et de personnages réels cités en nom propre. 

Vous reprochez également au réalisateur d’avoir fait « passer votre mobilisation à la trappe »…

Oui, à croire qu’elle n’a jamais existé. Pourtant, avec le Comité Justice pour Abdel, et grâce à l’aide de nos avocats, nous sommes restés mobilisés jusqu’au bout, dans une dynamique collective dont nous sommes très fiers jusqu’à aujourd’hui. Nous avons ainsi obtenu la requalification du meurtre d’Abdel en homicide volontaire, l’incarcération puis la condamnation du policier à sept ans fermes. 

Que comptez-vous faire ? 

Rachid Bouchareb reconnaît qu’il n’a pas associé les familles au projet, volontairement (NDLR : voir notre verbatim*) qu’il a juste parlé au téléphone avec un d’entre nous. Ces méthodes sont inadmissibles et nous tenons à le faire savoir haut et fort sur la place publique, sans préjuger de possibles poursuites judiciaires pour atteinte à l’image ou à la réputation de notre famille.

 

*Verbatim

Lors d’une avant-première, au cinéma le 7 Parnassiens, jeudi 1er décembre, Rachid Bouchareb a été interrogé par une spectatrice sur la polémique lancée par la famille Benyahia. L’échange a été filmé. Nous avons retranscrit la réponse du réalisateur. 

Rachid Bouchareb :  « Je ne suis pas d’accord sur la vision du personnage qui serait un homme hagard. Ce n’est pas quelqu’un de hagard, au contraire, c’est quelqu’un d’intelligent. Il sait tout, il connaît le système mais il est oppressé dedans. Ce personnage, ce sont mes parents, ce sont mes oncles, c’est toute cette première génération que j’ai vue quand j’étais enfant. C’est moi qui devenait le révolté. (…). Nous, quand on est arrivé à l’âge de l’adolescence, on a décidé de mettre en route un changement. Quelques années après, c’est passé par l’affrontement ce qui n’existait pas avec la première génération. 

Par rapport à la famille Benyahia, je n’ai pas eu la possibilité de rencontrer le père mais je l’ai imaginé comme nos pères. Il n’est pas du tout un personnage hagard, parce que même quand il est avec le policier, il n’est pas complètement écrasé. Il connaît la stratégie pour savoir comment  survivre dans la société française de l’époque. Le film se passe en trois jours, effectivement si le film avait accompagné l’histoire au-delà des trois jours, effectivement, on aurait montré la famille en train de manifester, la création du comité de soutien, etc. » 

 

« Nos frangins » de Rachid Bouchareb – 1h32min

Avec Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphael Personnaz et Samir Guesmi

Sortie en salles le 7 décembre 2022

Nadir Dendoune