Le célibat musulman, un business florissant

 Le célibat musulman, un business florissant

crédit photo : Easy Production/Cultura Creative/AFP – Frédéric Cirou/Altopress/AFP


La réponse au besoin grandissant de rencontres maghrébines ou de confession musulmane s’est monétisée et les créateurs de sites engrangent de jolis bénéfices. Zoom sur ce marché en pleine expansion et sur les plateformes les plus actives.


La France compte environ 18 millions de célibataires, un chiffre qui laisse deviner l’étendue du marché de la rencontre. Avec près de 6 millions de musulmans, dont plus d’un tiers a moins de 24 ans, ce secteur est pour le moins séduisant. Même les rarissimes agences matrimoniales ayant ­pignon sur rue se mettent à la page, à l’image de l’agence matrimoniale musulmane, Abelni, créée ­récemment à ­Paris, et qui souhaite reconquérir les ­déçus du virtuel et du speed dating.


De la même façon, l’émergence de nouveaux métiers, comme l’étonnant Net Dating Assistant (coach de séduction permettant de déléguer ses recherches amoureuses en ligne), sorte de Cyrano de Bergerac moderne, traduit l’engouement pour cette manne financière.


 


Une segmentation du marché sur la Toile


L’industrialisation de la rencontre amoureuse n’est pas nouvelle, mais elle s’est largement développée ces dernières années, à mesure que les critères prédéfinis de recherches se sont affinés. Cette exigence, parfois ghettoïsante, a fini par générer une véritable segmentation du marché sur la Toile, avec pléthore de sites de rencontres maghrébines et/ou musulmanes, en France et à l’étranger. Pour le meilleur, et parfois pour le pire.


En anticipant les besoins de jeunes célibataires musulmans à la recherche de relations sérieuses, en vue d’un mariage choisi, entre modernité et respect des valeurs culturelles et cultuelles, les sites de rencontres amoureuses se sont tous fondés sur le même business model pour assurer leur viabilité.


Face à une génération dopée à la gratuité, notamment sur smartphone, tous rivalisent d’ingéniosité marketing pour attirer les âmes solitaires et défier la concurrence en améliorant les fonctionnalités de leur application mobile, “must have” de tout site de rencontres. Souvent simple déclinaison du site web, cette dernière permet, outre la géolocalisation en temps réel, de rester “connecté” et spontané dans la rencontre, donnant ainsi aux sites parfois vieillissants, une image résolument 3.0. Economiquement parlant, la formule est gagnante : les sociétés émettrices de sites de rencontres bénéficient ainsi d’une double ­vitrine, vite amortie et rentable.


 


Savoir créer la frustration


Car, comme pour les grands médias, le succès d’un site est soumis à la loi de l’audience, avec un taux d’inscription se comptant au minimum en milliers. Le matraquage publicitaire, certes, fait recette, certaines plateformes y vouent même jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires. Mais la vraie stratégie de réussite, aujourd’hui, c’est le multicanal.


De manière globale, ces sites de rencontres enregistrent des bénéfices grâce à un triptyque qui fait désormais florès : abonnement des membres + publicité + recours à une offre “freemium”. Cette nouvelle stratégie commerciale donne l’accès gratuit à la plateforme, mais les fonctions du site sont quant à elles limitées ou partielles. Cette “frustration” savamment créée chez l’internaute qui souhaite une rencontre de qualité, invite progressivement à accéder à une offre premium complète et… payante. Le tout en quelques clics pour répondre à la logique de consommation rapide et de préférence facturée par prélèvement bancaire automatique différé. Il faut ce qu’il faut pour “booster son mektoub”.


Tout comme ses cousins “généralistes”, la plateforme “communautaire”, fait seulement payer les hommes. Ils doivent s’abonner en premium pour bénéficier des services complets du site. La gratuité pour les femmes multiplie ainsi le nombre d’inscriptions et assure la variété des profils et donc l’attractivité du site.


 


Eviter la caricature de “l’Islam business”


Mais créer un site de rencontres pour célibataires musulmans sans tomber dans la caricature de “l’Islam business” est un challenge qui demande de la stratégie et un certain professionnalisme. C’est le pari plutôt réussi des plateformes les plus connues et les plus fiables, en France, commme mektoube.fr, inshallah.com ou meetarabic.com.


Bien sûr, elles ne sont pas les seules sur le marché de l’amour 2.0. On retrouve également sur la Toile, Amour Maghreb, appartenant au groupe Phoenix Corp, qui mise sur l’hypersegmentation avec une myriade de sites spécialisés dans divers domaines. En France, il existe aussi des plateformes plus confidentielles comme Lehel.com ou Mon-bled.com .


Reste qu’en surfant sur ce créneau très porteur de la rencontre amoureuse communautaire, le succès de Mektoube, Inshallah et autre Meetarabic, incarnés par de jeunes entrepreneurs franco-maghrébins, illustre parfaitement le mythe du self-made-man biculturel qui a pris l’ascenseur social. Point de marketing cynique au nom du business de l’Islam, ils sont juste le miroir de leur génération : audacieux entrepreneurs, sans complexe avec l’argent, tradi-modernes dans le respect des valeurs du culte et de la culture musulmane. C’est leur mektoub ! 


 


MEKTOUBE.FR, LE PIONNIER ET LEADER


Sur son site, Mektoube.fr se targue d’être leader de la rencontre maghrébine et musulmane. Créé en 2006, il compte aujourd’hui plus de 2 millions d’inscrits (pour 2,5 millions de chiffre d’affaires), et n’a pas à rougir face au géant généraliste français Meetic et ses près de 8 millions d’adhérents dans l’Hexagone ! Nul doute que les cofondateurs de Mektoube.fr se sont inspirés de son “success model” d’utilisation simple et efficace. Laouari Medjebeur et Thomas Nomaksteinsky se sont associés pour créer LT Services, la société diffusant Mektoube. Installés à Levallois-Perret dans le “92 business”, ils sont fiers de leur succès. “Mektoube, ce n’est pas du communautarisme, c’est du marketing !” Conscients qu’une bonne e-réputation est garante d’un nouveau trafic de visiteurs et d’adhérents sur leur site, ils ont tout misé sur l’absence d’estampe “Islam” ou “halal” pour éviter les amalgames dans les recherches Google, préférant prôner “des rencontres pour la communauté maghrébine et les amoureux du Maghreb”. Début 2000, la vingtaine passée, Laouari Medjebeur, ingénieur informatique, s’aperçoit du buzz des sites communautaires des pays anglo-saxons. Pionnier dans le domaine en France, il crée Mektoube.fr en 2006, avec son associé. Sans fonds ni publicité, juste le bouche-à-oreille. Douze ans plus tard, Mektoube est reconnu comme l’un des sites de rencontres spécialisés incontournable en France. Pro et malin, il doit sa réussite grâce à la présence d’un modérateur réactif qui assure un encadrement rigoureux, et entretient aussi une proximité avec ses adhérents : cooptation par les membres, interface sur sa page Facebook et via un blog dédié mis à jour. Côté fidélisation, sa stratégie de gratuité se révèle payante… pour les hommes. Ce n’est, en effet, qu’en souscrivant à un abonnement qu’ils pourront échanger en messages privés illimités, savoir qui a visité leur profil et obtenir plus d’infos sur une recherche de contact féminin. Comptez 19,90 euros pour un mois, 59,90 euros pour six mois.


 


INSHALLAH.COM LE ROI DU MARIAGE MUSULMAN


Créé en 2010, Inshallah.com est le principal concurrent de Mektoube. Avec ses 200 000 visiteurs par mois et plus de 297 000 unions au compteur, cette plateforme de rencontres entre musulmans cible sa clientèle avec son slogan : “Un mariage, si Dieu le veut.” Charte du site, dossiers thématiques, engagements et responsabilités, rappels du vendredi préparés par des imams… tout confère au sérieux de l’entreprise. Côté modèle économique, le fonctionnement d’accès gratuit et d’abonnement payant par période est identique à celui Mektoube. Même les tarifs sont alignés. Hatem Ahmed, le patron d’Inchallah, est comme Laouari Medjebeur, un enfant de la banlieue et des réseaux sociaux. C’est à Aubervilliers qu’il a grandi et à Levallois-Perret qu’il a installé sa PME. Pour faire tourner le site, l’ingénieur d’affaires a eu recours à un fonds d’investissement, en plus du soutien d’un fonds familial. Le marché de la rencontre musulmane, il y a toujours cru. Son business lui ressemble, à l’image de cette génération de musulmans français moderne et intégrée qui se marie dans le cadre de l’Islam.


 


MEETARABIC.COM : LE PLUS ABORDABLE


Plus loin derrière les deux leaders français, MeetArabic est une plateforme de rencontres musulmanes et maghrébines qui affiche quelque 200 000 inscrits. Depuis 2007, le site subit cependant un certain essoufflement, avec moins de profils actifs, un modérateur et une sécurité pas toujours rigoureux


et un fonctionnement un peu daté. Les prix proposés demeurent attractifs, donnant accès à tous les services. Il faut compter 8,99 euros mensuels pour un abonnement de six mois. Coïncidence frappante : Salim Bouiche, son fondateur, né lui aussi en 1980, est un ancien camarade d’école d’Hatem Ahmed le patron d’Inshallah.com. Ils ont même suivi Maths sup ensemble. C’est dire si le monde du business de la rencontre communautaire est petit.


 


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Alexandra Martin