Coronavirus : Silence, on tue

 Coronavirus : Silence, on tue

LOIC VENANCE / AFP


Quel est le lien entre Jacques de Mulhouse (France) et Slimane de Marrakech (Maroc) ? Aucun, si ce n’est que le premier n’a pas pu voir sa mère décédée par la faute du coronavirus et le second n’a pas pu enterrer la sienne dans son douar d’origine pour cause du même Coronavirus.


L’homme à la faucille qui rôde désormais dans les plus hautes sphères du pouvoir et qui se soucie fort peu de l’épaisseur du compte en banque des uns et des autres est désormais la vedette des JT en toutes les langues. Non seulement parce que le décompte macabre égrène le nombre de décès avec une indifférence glaçante mais aussi parce que les défunts sont désormais privés de funérailles et leurs proches exclus du processus du deuil.


Confrontés à la mort, les chefs d’Etat se déclinent en plusieurs catégories, les philosophes, comme Macron qui demande à « retrouver du sens » face à la faucheuse, regrettant au passage l’énumération quotidienne du nombre de décès : « Il faut sortir du décompte des morts qui n’est qu’un tic-tac mortifère. »


Alors qu’on se rappelle les paroles de François Hollande, au lendemain des attentats terroristes de 2015. « La mort durant ces cinq années ne m’a jamais quittée. Présider la France, c’est épouser son malheur, accompagner le long cortège de nos défunts. » Ou encore, on peut aussi faire semblant comme Trump de se foutre de la mort, demandant cyniquement aux « vieux » de se sacrifier pour les générations montantes, dans un déni flagrant de sa propre sénélité. Le plus nul des psychologues ne verrait ici, que l’attitude dérisoire d’un lâche terrorisé par la pensée de la mort, (la sienne, bien entendu).


Et puis, il y a le reste, les dirigeants qui préfèrent le non-dit, ceux qui ont peur de nommer les choses de peur de provoquer l’inéluctable. Dans un excellent essai paru en 1985,  L'homme devant la mort. Le temps des gisants, Philippe Ariès expliquait que « la mort est maintenant si effacée de nos mœurs que nous avons peine à l’imaginer et à la comprendre. L’attitude ancienne où la mort est à la fois proche, familière et diminuée, insensibilisée, s’oppose trop à la nôtre où elle fait si grande peur que nous n’osons plus dire son nom. C’est pourquoi, quand nous appelons cette mort familière la mort apprivoisée, nous n’entendons pas par là qu’elle était autrefois sauvage et qu’elle a ensuite été domestiquée. Nous voulons dire au contraire qu’elle est aujourd’hui devenue sauvage alors qu’elle ne l’était pas auparavant


Paradoxalement, l’omniprésence de la Grande Faucheuse à cause du fameux virus provoque en occident des réactions contradictoires, comme celle d’envoyer les personnes âgées au casse-pipe. De nombreux leaders ( Trump n’est plus à présenter) se permettent même de demander aux « vieux » de « céder » la place aux jeunes, autrement dit d’accepter l’euthanasie par défaut que pratiquent désormais de nombreux hôpitaux en Europe, à savoir laisser mourir des personnes âgées atteintes du coronavirus pour se concentrer sur d’éventuelles victimes plus jeunes. Des médecins écœurés ont dénoncé « cet abattage » cynique.


Bien sûr, comparaison n’est pas raison, tant la stature du personnage est bien éloignée des guignols qui dirigent la planète aujourd’hui, tout le monde se rappelle des positions de Mitterrand sur la question des personnes âgées alors qu’il essuyait déjà les attaques frontales des « euthanasieurs » en chef. Il avait non seulement propulsé les services de soins palliatifs dans les hôpitaux, mais à la fin de sa vie, il expliquait pourquoi il était fermement opposé à une loi sur l'euthanasie. « Pas du tout pour des raisons religieuses, mais parce que la société franchirait alors une ligne que j'estime intangible. Et puis, vous savez, je n'ai pas aboli la peine de mort pour la réintroduire sous une autre forme ! Tant que je serai en vie, je m'opposerai à ce qu'on franchisse la ligne rouge ! C'est trop grave ! » La mort intime, de Marie de Hennezel.


C’est pourtant une tendance lourde que l’on voit poindre en occident : le sacrifice des vieux sur l’autel de la peur du coronavirus et ce, en contradiction flagrante avec le besoin de deuil émis par les proches des défunts. Avant, les séniors étaient parqués dans des mouroirs avec vue imprenable sur le cimetière et là, on leur demande carrément de se sacrifier «  pour que l’économie redémarre » comme le dit si bien Trump.


En occident, comme en Amérique, pour bien des personnes âgées, l’euthanasie est souvent l’image fausse du libre arbitre, une obligation cachée sous des dehors humanistes (on ne veut plus les voir souffrir) alors que la mise en quarantaine actuelle ne change pas grand-chose à leur quotidien, bien avant cette crise, l’épidémie de solitude faisaient des morts en silence.

Abdelatif Elazizi