David Nahmias, la figue comme une madeleine

 David Nahmias, la figue comme une madeleine

Crédit photo : Dominique Faget/AFP-DR


Originaire du village de Taznakht, ce juif marocain établi aux Etats-Unis perpétue un héritage familial ancestral : la mahia, une eau de vie à base de figues qui fait sensation dans les bars branchés de New York et de Californie. 


Distiller de la mahia marocaine dans l’Etat de New York… il fallait oser ! L’idée s’est concrétisée il y a huit ans, lorsque David et Dorit Nahmias ont cédé aux sirènes de la reconversion professionnelle. Pari risqué, mais réussi : aujourd’hui, leur micro-distillerie de Yonkers, à une heure de New York, tourne à plein régime. Fièrement baptisée Nahmias & Fils, l’entreprise est la seule sur le continent à fabriquer cette eau-de-vie venue du Maroc. Leur Mahia Premium peut se targuer d’un joli succès dans pas moins de dix Etats dans le pays, et jusqu’au Québec. “Nous fabriquons 6 000 bouteilles chaque année, ce qui est relativement modeste par rapport à d’autres producteurs d’alcools”, explique David Nahmias. Un choix assumé : le maître-distillateur, originaire du royaume chérifien, est soucieux de préserver l’âme et le cachet artisanal de son produit “propre”, garanti “sans sucres ajoutés ni additifs chimiques”, élaboré à partir d’une recette familiale vieille de plus d’un siècle.


 


Le breuvage séduit un public américain averti


Des figues sèches, de l’eau purifiée, de la levure casher, un soupçon de graines d’anis fraîches… et c’est tout. Outre-Atlantique, le breuvage marocain séduit un public averti : si le New York Times le compare à la slivovitz slave ou à la grappa italienne, le magazine Food & Wine vante ses arômes subtilement sucrés et sa plaisante touche anisée, suggérant à ses lecteurs de mettre un doigt de mahia dans leurs cocktails plutôt que les habituels vodka, gin ou rhum blanc. Pour le pure player Tasting Notes, la liqueur marocaine constitue un “excellent digestif.” “J’ai toujours voulu distiller et vendre cette eau-de-vie qui fait partie de mon héritage culturel et me rappelle mes racines marocaines”, s’enorgueillit David Nahmias, 56 ans. Pour lui, qui a grandi à Taznakht, dans la province de Ouarzazate, avant d’émigrer en Europe, puis en Amérique, siroter de la mahia après un bon repas revient à remonter le temps, comme une madeleine de Proust : “Enfant, je voyais ma mère et ma grand-mère s’atteler chaque semaine à sa préparation. Elles utilisaient de petites marmites et n’avaient aucun instrument pour mesurer la quantité d’alcool dans l’eau-de-vie.”



“Une façon de faire vivre leur mémoire”


S’il s’amuse de ce joyeux esprit d’improvisation qui animait sa famille à l’époque, David Nahmias a aujourd’hui investi dans du matériel de distillation de pointe. “J’ai aussi veillé à bien me former auprès de professionnels reconnus de Chicago avant de me lancer”, assure cet ingénieur informatique reconverti. En 2009, après le décès de ses parents, il décide de s’installer à son compte. “Distiller la mahia est une façon de faire vivre leur mémoire”, sourit tristement David. Tradeuse, son épouse Dorit le rejoint dans l’aventure après une période de chômage. “Fabriquer un produit totalement inconnu du marché américain et le marketer est un défi passionnant. J’aime beaucoup ma vie d’indépendant, malgré les difficultés qui peuvent se présenter”, poursuit David Nahmias, qui se dit ouvert à l’idée d’exporter sa mahia au Maroc et en Europe. “Je voudrais que mon produit se diffuse partout, mais cela demande un investissement important. C’est une étape que nous comptons bien franchir dans quelque temps.”


MAGAZINE FEVRIER 2018

Sana Guessous