Gaza : Un conflit qui a lieu aussi dans la tête

Enfants de Gaza transportant de l’eau sur un chariot parmi les décombres, le 11 décembre 2024. Selon Human Rights Watch, Israël a délibérément imposé des conditions privant les civils de Gaza d’un accès suffisant à l’eau, causant des milliers de morts. (Omar AL-QATTAA / AFP)
A Gaza, une guerre sourde se déroule sans que l’on en parle souvent. Et pourtant, près d’une personne sur cinq serait atteint de troubles mentaux en zone de conflit armé. Touchant autant les enfants que les adultes, les patients peuvent notamment vivre des situations de troubles du syndrome post-traumatique.
Bien sûr, les guerres nous renvoient des images terribles de violences physiques, matérielles et humaines. Comme le rappelle l’agronome et humanitaire Xavier Guigue, la guerre est aussi « le sacrifice du langage et du symbolique ». Avec la disparition des structures éducatives ou médicales, les repères familiaux et sociétaux sont également altérés et ne permettent pas le développement physique et psychique des réfugiés.
Depuis 25 ans, David-Pierre Marquet, porte-parole du CICR à Paris a connu plusieurs terrains de guerre (Tchétchénie, Irak, Birmanie, Ukraine,..). Sur le terrain, il a pu constater les ravages sur la psychologie des victimes. « On estime qu’une personne sur cinq souffre d’une forme de troubles mentaux en zone de guerre. C’est l’équivalent de 3 fois ce qu’on retrouve dans la population d’un pays en général. Les prises en compte des soins en santé mentale sur le terrain ne doivent pas être oubliées. Cela peut aller de l’anxiété à des cas de syndromes de stress post-traumatique (PTSD).»
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Syndrome post-traumatique
Ce phénomène d’anxiété (voir interview d’Amélie Amilhau, ci-dessous) se manifeste par une tendance à revivre en permanence son expérience traumatique et à éviter tout ce qui pourrait le rappeler. « Les guerres génèrent souvent beaucoup de déplacements des populations civiles, rappelle David-Pierre Marquet. Privées de leur zone sécurisée, les familles manquent de repères, sont stressées et dans l’instinct de survie. On remarque des épuisements, un sentiment de s’exclure de la société et jusqu’à perdre la vie.»
Les personnes vivant avec une PTSD peuvent non seulement faire subir ce syndrome à leur famille mais aussi atteindre les générations futures. Parmi ceux qui sont le plus fragiles, les enfants. Des terreurs nocturnes aux hallucinations sans oublier les désordres alimentaires ou gastro-intestinaux, ceux-ci peuvent également avoir des difficultés de langage, d’écriture, de lecture, d’énurésie, d’encoprésie ou de troubles affectifs.
Après le drame du Rwanda, l’Unicef a mené une enquête pour comprendre l’exposition des enfants aux scènes de guerre. 9 sur 10 ont fait l’expérience de la mort d’un membre de leur famille et ont dû se cacher pour se protéger. Un sur deux a vu tuer quelqu’un ou a été témoin visuel d’une agression ou d’un meurtre ou a subi des menaces de mort.
« L’enfant est psychiquement plus fragile »
Les réactions des enfants sont diverses mais souvent teintées de difficultés. Ainsi, 9 sur 10 y pensent sans le vouloir. La moitié d’entre eux ont des problèmes de concentration quand les 3 quarts d’entre eux tentent de s’occuper pour ne pas y penser. « L’enfant est psychiquement plus fragile, indique l’humanitaire du CICR. Toutefois, ils ont une capacité de résilience qui nécessite une attention particulière. Dans certains contextes, ils peuvent devenir bourreaux ou auteurs de violences sexuelles comme les enfants soldats au Congo par exemple. »
Vivant en perpétuel danger de mort ou de violences, l’enfant aura du mal à vivre ou à concevoir une vie normale. Pour David-Pierre Marquet, « les enfants vivent souvent des scènes violentes et ne sentent jamais vraiment en sécurité. L’un des traumatismes auquel on ne pense pas souvent, est la privation de sommeil. Les missiles sont souvent tirés la nuit et oblige les populations civiles à se réfugier dans des abris. Les enfants sont réveillés en panique avec le bruit des alarmes, etc… Cela provoque un déséquilibre en termes de sommeil et a des conséquences sur la psyché des réfugiés. »
Le professeur Arash Javanbakht, de l’Université de Wayne aux Etats-Unis, qui a travaillé sur les enfants ukrainiens, indique que le cerveau d’un enfant est en plein développement émotionnel et cognitif. Pleins de confusion, les enfants pensent alors « qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez eux, et qu’ils le méritent. Ils en déduisent que le monde est un endroit brutal et sans sécurité, où l’on est soit violent, soit maltraité.»
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Des moyens dérisoires face à la déferlante de PTSD
Sur les terrains de guerre comme à Gaza, les prises en compte de ces questions psychologiques passent souvent au second plan. Les solutions existent pourtant pour permettre aux personnes de retrouver un semblant de normalité. Les psychothérapies se révèlent souvent efficaces mais les moyens donnés pour les entreprendre sont souvent insuffisants. « Il existe des programmes psychologiques dans les situations d’urgence mais cela exige un suivi dans la durée, rappelle le porte-parole du CICR. Pour réussir cette épreuve, il faut que les gens soient en sécurité pour mettre un processus de psychothérapie. Or, il y a plusieurs conflits qui s’éternisent comme la Syrie, l’Ukraine ou Gaza où il est difficile d’envisager cet espace de sécurisation des victimes. »
Même les lieux de « sécurité » ne le sont plus !
Cette insécurité permanente n’aide pas vraiment les réfugiés mais également les humanitaires censés les aider. En effet, à Gaza, la quasi-totalité des hôpitaux ont été détruits ou empêchés de travailler. Difficile dés lors de pouvoir accueillir les victimes pour leur offrir un cadre sécurisé, surtout quand on subit soi-même des stress quotidiens. « Notre hôpital de campagne à Rafah dans la bande de Gaza a été atteint plusieurs fois. En plus de leur investissement pour le travail, les humanitaires vivent sur place avec leurs familles. Leur niveau d’épuisement psychologique est assez important. Un programme leur est dédié pour les aider à se reposer. »
Si la télémédecine peut être envisagée pour permettre le suivi des personnes atteintes, elle n’en demeure pas moins souvent aléatoire à mettre en œuvre. « C’est peu pratiqué car les connexions internet ne sont pas forcément fiables. Ces infrastructures font partie de celles qui sont touchées par les belligérants. Comment faire dés lors une thérapie dans ces conditions-là ? »
Pour mieux comprendre les troubles du PTSD, interview avec Amélie Amilhau, psychologue et psychothérapeute à Nice et présidente de l’Association Française du Psycho traumatisme et de la Résilience.
Amélie Amilhau : « Revivre des évènements traumatiques est une torture »

Comment peut-on définir les troubles de syndrome post-traumatique (PTSD en anglais) ?
Les symptômes sont de 4 ordres. Cela commence avec les reviviscences, les fameux flash-back qui vont faire remonter à la surface des souvenirs intempestifs qui reviennent et paraissent plus vraies que nature dans des cauchemars. La seconde est l’évitement. Il s’agit alors pour le patient de tout faire pour ne pas aller sur les lieux, rencontrer des gens, regarder des images ou même juste y penser. Ensuite, le patient est en super vigilance et en permanence sur ses gardes ou à sursauter au moindre bruit. Enfin, on peut aussi faire face à des troubles de l’humeur ou de la concentration. Les patients vont souvent être déprimés, irritables ou ont du mal à rester en place.
Quand on subit une guerre pendant un an, peut-on être atteint de syndromes post-traumatiques ?
Hélas, sur les scènes de guerre, la probabilité est très forte de se retrouver atteint de PTSD. La menace est permanente. Les habitants sont eux-mêmes en danger de mort et apprennent tous les jours des décès de proches, assistent à des morts ou à des mutilations. Cela va renforcer les troubles.
Comment cela se traduit-il dans la vie quotidienne, notamment chez les enfants ?
Chez les enfants, les syndromes ressemblent à ceux des adultes. Il va y avoir une dimension comportementale supplémentaire avec du jeu répétitif. Ils reproduisent les scènes encore et encore comme des jeux qui ne le sont pas. Cela n’apporte aucune satisfaction à l’enfant. On peut retrouver aussi des conduites régressives comme l’énurésie (pipi au lit, ndlr), le fait d’avoir peur du noir, de ne plus pouvoir se séparer de ses parents.
Existe-t-il des solutions pour guérir les troubles de syndrome post-traumatique ?
La prise en charge par une psychothérapie est la solution adéquate. Les plus efficaces sont les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) et l’EMDR. Il peut y avoir aussi chez l’adulte, une prescription d’antidépresseurs à la sérotonine qui viennent en supplément. Quand on ne peut pas y avoir accès, le plus important est de retrouver de la sécurité. Les enfants ont énormément besoin d’avoir leurs parents pour avoir un environnement sécurisant. A Gaza, il est difficile d’avoir un contexte de normalité car les parents eux-mêmes sont souvent traumatisés ou dans la survie. Une fois pris en charge, les souvenirs deviennent normaux et arrêtent d’envahir le patient. Il y a même des solutions plus étonnantes. Ainsi, selon les chercheurs de l’Université d’Oxford, le jeu vidéo Tétris pourrait avoir un effet préventif. Il va avoir un effet protecteur car cela va saturer la mémoire de travail et ainsi éviter de développer les troubles. Dans le cas de Gaza, l’exposition est malheureusement permanente.
En zone de guerre, on prend rarement en compte les questions psychologiques …
Avec la destruction des infrastructures médicales, les psychologues ne sont pas dans les meilleures conditions pour travailler. Or, sur le psycho-trauma, plus on prend le temps, et plus les difficultés se chronicisent et s’installent. Revivre des événements traumatiques en continu est de la torture. Quand les bombardements cesseront, il va falloir prendre en compte cette dimension de prise en charge.