« J’ai failli être violée », le témoignage d’une étudiante marocaine en Ukraine

 « J’ai failli être violée », le témoignage d’une étudiante marocaine en Ukraine

Doha, 23 ans, étudiante marocaine raconte son périple pour fuir la guerre d’Ukraine. Photo : DR

Cinq jours d’effroi, de froid et de faim, Doha, étudiante marocaine raconte son périple de 1 676 km de Kharkov à Budapest et les obstacles rencontrés par les Africains qui tentent de fuir la guerre.

 

Originaire d’Agadir, Doha, 23 ans, fait partie des 8 000 Marocains inscrits dans les universités ukrainiennes. Si cette étudiante en médecine à Kharkov n’est pas rentrée plus tôt au Maroc, comme le recommandait le Royaume à ses ressortissants, c’est parce que « sa faculté a menacé ceux qui partaient d’être exclus et donc de perdre leur titre de séjour », raconte la jeune fille qui a eu une altercation avec une de ses profs à ce sujet la veille même du début des affrontements. Comme la plupart de ses compatriotes, elle a donc tenu… jusqu’à ce que, contre toute attente, la guerre éclate. Dès lors, la question ne se posait plus. Désormais, c’était partir ou mourir.

« Jeudi dernier (le 24 février, ndlr), nous avons été réveillées à l’aube par le bruit des bombes », témoigne Doha. Depuis le début des tensions entre la Russie et l’Ukraine, elle partage son appartement, sis au centre de Kharkov, la deuxième plus grande ville ukrainienne, avec sa cousine et une amie marocaine pour être ensemble si la crise dégénérait en conflit armé.

Leur premier réflexe est de se réfugier dans le métro le plus proche. « J’ai pris mon passeport, du chocolat et mon chien Snowy et on a quitté l’appartement car on nous avait dit que les bombardements allaient reprendre. J’ai tout de même payé les frais d’université par acquis de conscience. J’avais retiré à la banque le maximum d’argent que je pouvais. On avait peur et on ne savait pas quoi faire ».

C’est ainsi que les trois jeunes filles se retrouvent dans la station de métro la plus proche, Naukova. « C’était bondé. C’était l’horreur. On avait peur, on avait froid. On pleurait. Et au milieu de cette foule, j’ai été agressée sexuellement. Des mains s’étaient glissées sous mes vêtements. J’ai failli être violée. Alors on a décidé de ne pas rester et de retourner à l’appartement. Quitte à mourir autant que ce ne soit pas parmi une foule déchaînée transformée en cannibales. De toute façon, les Ukrainiens avaient ordonné aux étrangers de sortir de la station de métro, comme si nous ne méritions pas d’être à l’abri ».

Les trois étudiantes retournent donc dans l’appartement où au moins elles peuvent manger, recharger leur téléphone, donner des nouvelles à leurs proches et dormir au chaud… jusqu’à ce qu’à l’aube, vendredi matin, les bombardements, de plus en plus proches, se fassent entendre à nouveau.

« L’ambiance était tendue. On se disputait car on n’arrivait pas à convenir de la meilleure décision à prendre. On passait des crises de larmes à l’hystérie ».

Malgré le stress et les désaccords, les trois jeunes filles se font la promesse de rester ensemble quoi qu’il arrive. Ainsi, Doha décline la proposition d’un ami en partance pour la Pologne et qui n’a que deux places dans sa voiture. Les trois étudiantes commencent à échafauder les plans les plus ubuesques. « Notre vie était devenue un film, sauf que c’était la réalité. On recevait des vidéos montrant des bombardements, des quartiers dévastés à côté de chez nous ».

Après avoir tenté en vain de louer un véhicule pour fuir, elles envisagent un temps d’en voler un. « Nous sommes même allées sur YouTube pour apprendre à démarrer une voiture sans clé de contact ». Projet auquel elles renoncent évidemment. Elles apprennent qu’un train en direction de Lviv, à la frontière polonaise, partira le lendemain. C’est décidé, elles le prendront. Reste plus qu’à trouver un taxi pour se rendre à la gare. « Y aller à pied était inenvisageable, car marcher une heure dans une ville où règne le chaos nous expose à toutes sortes de violences et de dangers ».

Après des heures à tenter de trouver un taxi, les étudiantes se font finalement déposer à la gare de Kharkov évidemment bondée, en ce samedi, vers 6 heures du matin. Un de leur ami marocain, qui ne voulait pas laisser des filles voyager seules dans un tel contexte, se joint à elles.

« Quand le train est arrivé à quai, tout le monde criait « push push push ». C’est un miracle que nous ayons réussi à monter tous les quatre. Les gens donnaient des coups. C’était chacun pour soi. Ma cousine a perdu connaissance sur le quai dans la bousculade. J’ai dû redescendre du train pour la tirer et l’aider à monter. Une fois à bord, on nous a annoncé que le train allait à Kiev. Autant dire l’enfer tant les nouvelles qui nous en parvenaient étaient effrayantes. On a tout fait pour redescendre mais c’était impossible. Donc pendant six heures, nous étions dans un train qui nous emmenait à la mort. Nous en étions persuadées. J’ai commencé à faire une tachycardie tant mon état de stress était intense ».

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Six heures plus tard et après avoir été contraint à maintes reprises de s’arrêter, le train entre en gare de Kiev où il reste bloqué six heures en raison des bombardements de l’armée russe. « On n’avait plus de nourriture, toutes les boîtes de thon qu’on avait prises on les avait terminées. On n’avait plus rien à boire et on a dû récupérer l’eau dans la chasse d’eau ». En fin de journée, le train finit par redémarrer en direction de Lviv, non loin de la Pologne.

« Quand nous en descendons samedi soir, nous étions affamés mais au moins nous étions hors de la zone de guerre ». Le pire était donc derrière ? « Non, pas forcément. Une fois à Lviv, où il y avait beaucoup de monde au poste frontière, on nous a conseillés de quitter le territoire ukrainien via Oujgorod, du côté de la Slovaquie, car il y aurait moins d’attente. Il était clairement plus compliqué pour nous, non-Ukrainiens, de quitter le pays. C’est alors que j’ai croisé une de mes connaissances, un étudiant nigérian. Il nous propose de monter dans un bus où ne se trouvent que des Africains. Nous réussissons à y prendre place malgré l’opposition violente d’une dame qui ne voulait pas de blancs dans le bus. Mon ami a eu le plus grand mal à la convaincre de nous laisser monter. Elle s’en est même prise physiquement à moi, mais j’ai ravalé ma fierté et je suis restée dans le bus ».

Cinq heures plus tard, Doha et ses compagnons finissent par débarquer à Oujgorod. De nouveau, c’est la cohue au poste frontière, le froid et la faim. « Les personnes originaires d’Afrique étaient parquées à part. Nous devions attendre dans le froid que le douanier termine de fumer sa cigarette et de papoter avec son collègue pour daigner contrôler nos papiers. Une fois la douane passée, tous les Africains ont été enfermés pendant plusieurs heures, puis ils ont fini par nous relâcher sans donner la moindre explication. Il nous fallait alors trouver un moyen d’aller à Beregsurány pour quitter l’Ukraine via la Hongrie », raconte Doha.

Commence alors un trajet à pied de plusieurs kilomètres dans le froid, la faim et la neige, les membres en hypothermie. « Mes mains étaient bleues quand nous sommes enfin montés dans le train qui allait à Budapest. A l’arrivée, on a eu un accueil incroyable, lundi soir. On ne s’y attendait plus. On ne savait plus que des gens pouvaient encore être gentils et nous offrir à boire et à manger », raconte la jeune fille depuis Budapest d’où elle doit prendre un vol en direction de Casablanca avec Snowy, son spitz nain.

Retourner à Kharkov, où elle a tout laissé, ses espoirs de devenir médecin et ses biens les plus précieux, Doha en rêve. Encore faudrait-il que les roquettes russes qui, ces derniers jours, y ont fait des dizaines de morts et des centaines de blessés cessent de pleuvoir.

« J’ai failli être violée », le témoignage d’une étudiante marocaine en Ukraine
Doha, étudiante marocaine fuyant la guerre d’Ukraine, et ses compagnons de route.

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Fadwa Miadi