John Tolan : « Il devient de plus en plus difficile de travailler sur l’islam sans attirer les foudres de l’extrême droite »

John Tolan, professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Nantes, coordonnateur principal du programme de recherche européen The European Qur’an (2019–2025). Crédit photo : John Tolan
Historien spécialiste du Moyen Âge, ce professeur émérite codirige le projet universitaire « Coran européen ». Il réagit à la virulente campagne qui cible depuis plusieurs semaines ce programme scientifique inédit.
Ce n’est pas la première fois que l’extrême droite cible un projet universitaire en lien avec l’islam. Peut-on encore mener des recherches sur ce sujet en Europe sans qu’elles soient instrumentalisées ?
Effectivement, d’excellents chercheurs comme Omero Marongiu-Perria ou Haoues Seniguer ont été accusés à tort d’être proches des Frères musulmans. Or, leurs travaux démontrent précisément que cette idéologie repose sur des bases juridiques très faibles et des conceptions historiques erronées.
Aujourd’hui, en France, il devient de plus en plus difficile de travailler sur l’islam sans s’attirer les foudres de l’extrême droite identitaire. Cela tient en partie à l’importation des attaques contre la liberté académique venues des États-Unis.
Mais c’est aussi lié à la politique intérieure française : depuis l’inéligibilité de Marine Le Pen à la présidence, divers candidats potentiels d’extrême droite tirent à boulets rouges sur tout ce qui touche à l’islam.
Que révèlent ces attaques, et l’écho qu’elles trouvent chez des hommes politiques, comme le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad ?
Elles attestent d’abord d’un climat particulièrement tendu. Avec la guerre en Israël, en Palestine et désormais en Iran, c’est une période anxiogène pour les Français, en particulier pour ceux qui sont musulmans ou juifs. Des extrémistes de tout bord s’évertuent à jeter de l’huile sur le feu.
Qu’un membre du gouvernement, Benjamin Haddad, relaie ce type d’attaques haineuses est inquiétant. Plus encore, le fait qu’il insinue qu’un des principaux organismes scientifiques du continent — en l’occurrence le Conseil européen de la recherche — accorde des financements sur des critères autres que l’excellence académique indique qu’il est bien mal placé pour défendre l’Europe et ses institutions.
À part « merci d’avoir contribué à la médiatisation de ce projet », que répondez-vous à vos détracteurs, y compris ceux qui vous accusent de faire un Coran « à la sauce européenne » ?
Ces attaques émanent de personnes qui n’ont manifestement aucune idée du contenu de nos recherches. Ils ont simplement vu apparaître dans le même intitulé les mots « Coran » et « Europe » et ont immédiatement fantasmé un projet censé encourager l’« islamisation » du continent.
Or, tous les articles écrits par ceux qui ont pris le temps de s’intéresser à notre travail ont été très positifs. Cela nous encourage à poursuivre. À la bêtise et à la haine, il faut répondre avec calme, par la science et la rigueur.
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