Asile et Immigration, Esther Benbassa : « Je ne veux pas voter des lois sans connaître le terrain »

 Asile et Immigration, Esther Benbassa : «  Je ne veux pas voter des lois sans connaître le terrain »

La sénatrice Esther Benbassa (EELV) :  » En Allemagne vous avez une personne sur 140 citoyens qui a obtenu le droit d’asile. En France c’est une personne sur 1340. »


Alors que la loi « Asile et Immigration » sera soumise au parlement le mois prochain, la sénatrice Esther Benbassa (EELV) se déplaçait à Ouistreham (Calvados), mardi dernier (16 janvier), à la rencontre des réfugiés et associations de soutien aux migrants. Pour cette dernière, la question de l'accueil des migrants et réfugiés est primordiale et la France se doit d'avoir une politique migratoire à la hauteur de l'enjeu. Entretien.


LCDL : Quel était le but ce votre visite à Ouistreham ?


Esther Benbassa : Je suis déjà allée à Calais, à la Roya, à Menton, dans des centres d'accueil pour mineurs… Je suis une sénatrice de terrain et je m'occupe de cette question également au Sénat. Je ne veux pas voter des lois sans connaître le terrain.


Il y a la loi « Asile et Immigration » qui arrive. Je ne suis pas d'accord avec la politique du gouvernement, ni avec celle du gouvernement précédent. J'ai été toute la journée à Ouistreham, autour des ferries, j'ai vu ces jeunes migrants qui s'entassent dans le froid et qui attendent de passer en Angleterre.


Je n'ai pas vu les gendarmes passer à l'acte. Mais j'ai vu aussi cette France qui aide. Des gens qui accueillent des migrants chez eux, des infirmières qui les soignent.


C'est aussi pour ça, qu'en tant qu'écologiste, je vais déposer une loi sur l'abrogation du délit de solidarité, parce que ces personnes risquent jusqu'à cinq ans de prison et 30 000 euros d'amende. J'ai vu les associations avec les jeunes et moins jeunes aussi.


Aujourd'hui, il y a peut-être une partie de la France qui rejette les migrants mais il y a aussi une autre partie qui sait défendre des causes nobles qui honorent la France.


Le même jour (16 janvier), Emmanuel Macron, en visite à Calais, accusait certaines associations de « saboter » sa politique. Est-ce que vous avez pu constater cela sur le terrain ?


Les associations que j'ai vues à Calais, l'Auberge des migrants, Utopia 56 etc., ce sont des gens qui sont vraiment des personnes investies et de manière continue, sans se lasser. D'une manière vindicative, M. Macron les accuse et il dit que c'est l'Etat qui distribuera la nourriture (…) Donc il essaie de contourner les associations, pour dominer la situation, pour qu'il n'y ait plus de témoignages, pour que ces migrants soient fragilisés.


Le gouvernement avait parlé de toilettes dans les camps de fortune, on en a mis trois. Ça a mis des semaines pour mettre des points d'eau. J'ai vu quand on était là, des migrants qui nous racontaient comment on les aspergeait de gaz lacrymogène, ils avaient des plaies, des marques sur leurs mains, comment on leur prenait leurs couvertures pour qu'ils n'aient rien  pour s'abriter. Et les gens à Ouistreham m'ont raconté la même chose.


M. Macron est dans le « humanité et  fermeté ». On va raccourcir les délais d'obtention du droit d'asile mais en même temps on va expulser. Cette bipolarité est là pour maquiller la situation et ça n'aidera pas à gérer la crise humanitaire que nous n'avons pas su gérer dès le début.


En Allemagne vous avez une personne sur 140 citoyens qui a obtenu le droit d'asile. En France c'est une personne sur 1340. Il faut arrêter de manipuler les gens (…) Il faut essayer de ne pas mener des politiques cyniques envers des gens précaires, ce sont des humains comme nous.


Selon vous, quelles sont les chances de voir voter la loi « Asile et Immigration » ?


Cette loi est très problématique. Le délai de demande d'asile va passer des 120 à 90 jours. Le délai d'appel va passer d'un mois à quinze jours. Ensuite on fait passer les délais de détention en CRA de 45 à 90 jours (…) En sachant, qu'en général, au-delà de 12 jours de détention, il y a extrêmement peu de chances d'être expulsé. En gros, tout ça c'est pour décourager ces gens de venir en France.


Il y a quand même des choses intéressantes, comme l'obtention de papiers pluriannuels lors de la régularisation, au lieu de six mois ou un an actuellement. Avant d'accueillir ces gens de manière digne et humaine, on parle d'intégration. C'est de la rhétorique à la Macron. Tout est bien, tout est beau, on fait ses textes, on les fait avaler (…) Son but aujourd'hui, c'est d'être le seul à décider pour les migrants donc il essaie d'éloigner les associations qui viennent en aide et qui sont les premières à recevoir ces gens et à essayer de leur rendre la vie un peu, un tout petit peu, moins dure que ce qu'elle est.


Comment notre part d'humanité peut résister à ce genre de spectacle ! Je ne dis pas que tout le monde doit avoir ses papiers mais je dis que l'on peut faire un accueil digne et raisonnable.


Je ne crois pas que les militants de LAREM ne vont pas se poser la question de savoir si dans leur part d'humanité, ils peuvent accepter une politique pareil. Ça va grogner à gauche. Même s'il n'y a plus de gauche politiquement, certains ont le cœur un peu plus à gauche que d'autres, et ils ne peuvent pas accepter ce traitement des réfugiés.


Propos recueillis par Charly Célinain

Charly Célinain