#2 : Etudiante en médecine, elle raconte

 #2 : Etudiante en médecine, elle raconte

Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles


Sophia, 26 ans, est étudiante en médecine en Belgique. Bloquée à Casablanca, elle nous raconte l’épidémie vue de la Belgique et du Maroc.


Quelle est votre situation actuelle ? 


Je suis marocaine et j’ai fait mes études de médecine en Belgique, à Bruxelles. Je suis en master II (5ème année de médecine). J’étais en stage de gynécologie et j’ai décidé de faire un extra-muros chez moi à Casablanca, qui devait durer du 24 février au 29 mars.


Je suis rentrée au Maroc sans problème, il n’y avait à ce moment aucun cas de Covid-19 recensé en Belgique. Entre temps, la situation s’est aggravée et je me retrouve coincée au Maroc, qui a suspendu tous ses vols et a fermé tous ses aéroports. Je serai donc dans l’incapacité d’être en Belgique le 29 mars.


A Bruxelles, vous étiez interne dans un hôpital. Quelle situation avez-vous laissée derrière vous ? 


Lorsque j’étais à l’hôpital, on parlait déjà beaucoup du coronavirus mais avec beaucoup de légèreté. On savait qu’il existait, on savait qu’il allait probablement arriver en Belgique et on avait déjà des mesures strictes à prendre, mais uniquement si les patients revenaient de Chine et s’ils présentaient de la fièvre.


Les mesures étaient une mise en quarantaine du patient pendant 15 jours et il fallait essayer de retracer le parcours de ce patient depuis son arrivée en Belgique, pour essayer de trouver les personnes avec qui il ou elle a été en contact, et voir si ceux-là présentaient des symptômes typiques : fièvre, toux, fatigue… pour les isoler également et les hospitaliser si nécessaire. 


Avez-vous des nouvelles de vos collègues concernant la situation actuelle du personnel soignant ? 


D’après mes co-internes en ce moment, le nombre d’internes devant se trouver sur place a été drastiquement réduit. Les étudiants n’ont plus leur place au bloc opératoire car il y a une pénurie de masques et de gel hydro-alcoolique.


De plus, il y a une surcharge de patients dans les structures hospitalières (belges, mais c’est le cas dans toute l’Union européenne), qui manquaient déjà de moyens (pas assez de lits, pas assez de personnels soignants, pas assez de matériel de base), et qui donc se retrouvent débordés.


Mes co-internes qui étaient également en stage de gynécologie ne peuvent gérer que les urgences gynécologiques (salle d’accouchement essentiellement), et doivent maintenant également occuper des postes aux services d’urgence hors service de gynécologie, en se trouvant en première ligne pour examiner les patients : faire leurs anamnèses et mesurer leur température… Uniquement s’ils sont très symptomatiques ou s’ils sont dans un état critique.


Dans ce cas, on fait un test de dépistage du coronavirus et si ces tests sont positifs en fonction de la clinique du patient on procédera soit à un isolement soit à une hospitalisation. Mais le problème, c’est que le manque de moyens est tellement grand que les internes n’ont pas le masque nécessaire à leur protection, et nombreux sont ceux qui ont été contaminés et qui sont donc du coup, eux-mêmes, en isolement.


Aujourd’hui, vous êtes donc bloquée au Maroc. Avez-vous des concours de prévu ? Quelles informations vous communique votre faculté ?


J’ai normalement un examen à la fin de mes 3 mois de stage en gynécologie qui était prévu pour le 6 avril. Cependant, tous les séminaires qu’on devait avoir avant de présenter l’examen ont été en majorité annulés, et quand on pose des questions concernant les examens ils nous répondent que ce n’est pas la priorité mais qu’il sont quand même maintenus.


Mais nous n’avons pas de réels supports d’examen et la situation actuelle n’est pas propice à la concentration. Nous n’avons aucune information claire, car je pense que tous les chefs sont eux-mêmes débordés et dépassés par la situation. On devra s’adapter en fonction, mais en gros, on ne sait pas trop comment la situation va se passer.


Comment vivez-vous cette situation ? Etes-vous confinée dans votre maison à Casablanca ? 


Je suis très frustrée de cette situation, j’ai le cœur entre deux pays… J’aurais aimé être en Belgique auprès de mes co-internes pour aider comme je peux dans un endroit où mon cadre scolaire est bien défini (ici, il l’est beaucoup moins donc je n’ai pas vraiment d’utilité), mais je suis également heureuse d’être auprès de ma famille en ce moment.


Cependant je n’aimerai pas rester encore ici pendant plusieurs mois… Je dois continuer ma vie d’étudiante en médecine en Belgique : continuer mon apprentissage, reprendre mes stages, passer mes examens, etc… Ma vie d’étudiante est en « pause » en ce moment et je suis attristée de ne pas pouvoir être auprès de mes collègues quand je sais ce qu’ils vivent.


Où vous sentez-vous le plus en sécurité pour votre santé ? Au Maroc ou en Belgique ?


Je ne sais pas… Le confinement est plus facile au Maroc, surtout qu’en tant qu’interne en Belgique, je suis la première à être touchée par l’épidémie étant donné que je suis en première ligne pour l’accueil des patients avec un matériel non adéquat. En revanche, il est inutile de préciser que la prise en charge en Belgique est de bien meilleure qualité que celle au Maroc, donc c’est une question difficile…


Voir aussi :


Parole de confinés #1 : Les consulats marocains sur le pied de guerre


Parole de confinés #3 : La restauration à bout de souffle


Parole de confinés #4 : Messaouda, 84 ans : "Vendredi, j'ai rajouté une prière"


Parole de confinés #5 : Mokhtar : « Le handicap m’a appris à m’adapter à mon environnement »


Parole de confinés #6 : Claude, toxicomane depuis 30 ans : « J’ai peur de ne pas tenir »


Parole de confinés #7 : Le slameur Hocine Ben raconte

Malika El Kettani