Perpignan. Le chercheur Nicolas Lebourg dresse un premier bilan du mandat de Louis Aliot

 Perpignan. Le chercheur Nicolas Lebourg dresse un premier bilan du mandat de Louis Aliot

Nicolas Lebourg, historien et chercheur, spécialiste de l’extrême droite.

Nicolas Lebourg est historien et chercheur. Ce spécialiste de l’extrême droite habite Perpignan, une ville dirigée depuis 2020 par le Rassemblement national (RN). Près de deux ans après l’élection de Louis Aliot, Nicolas Lebourg dresse pour le Courrier de l’Atlas un premier bilan de la politique du nouveau maire.

LCDL : Pour avoir discuté avec de nombreux perpignanais, y compris des électeurs de gauche, la situation de la ville semble s’être légèrement améliorée depuis que Louis Aliot est maire… 

Nicolas Lebourg : Le nouveau maire a placé les premiers efforts sur deux secteurs immédiatement visibles pour la population : la sécurité et la propreté. Bien que la ville était déjà parmi les mieux dotées en France en nombre de policiers municipaux par habitant, cinq postes supplémentaires de fonctionnaires de police ont été créés.

Avant l’élection de Louis Aliot, le service de la police municipale s’arrêtait la nuit, et on croisait peu de policiers le jour. Une réorganisation de leur service a eu lieu et grâce à une stratégie d’ilotage, on les croise davantage en ville et dans les quartiers populaires.

La priorité chez les électeurs RN est la demande de sécurité. Une demande qui s’explique notamment par les chiffres des données des services de police qui montrent qu’à Perpignan, entre 2012 et 2019, les coups et blessures ont augmenté de 30%, les homicides et tentatives d’homicides de 89% et les viols de 329%.

En ce qui concerne la propreté des rues, qui était un des points faibles de l’ancienne municipalité, un gros effort a également été fait. Il y a donc des éléments très pratiques qui donnent ce sentiment que la situation s’est améliorée à Perpignan.

LCDL : Les Français d’origine maghrébine vivant à Perpignan ne semblent pas non plus très inquiets par la présence du RN à la tête de la ville…

Nicolas Lebourg : En 2014, Louis Aliot a perdu l’élection municipale à cause de la mobilisation massive à son encontre des bureaux de vote des quartiers nord comportant une forte proportion d’électeurs français d’origine maghrébine. Pour la dernière campagne, il a retenu la leçon.

Six mois avant les municipales de 2020, Louis Aliot n’a plus parlé ni d’immigration ni d’islam, pour empêcher que ces électeurs aient peur de lui et ainsi les mobiliser contre lui.

Ça a parfaitement fonctionné : lors du second tour de l’élection municipale en 2020, Louis Aliot est arrivé en tête dans 53 bureaux de vote à Perpignan !  Un chiffre à mettre en contraste avec celui de 2017. Lors du second tour de l’élection présidentielle, sur les 75 bureaux de vote de la ville, un seul avait mis Marine Le Pen en tête…

LCDL : Y a-t-il une différence entre le programme de Louis Aliot candidat et la politique qu’il mène aujourd’hui à Perpignan ? 

Nicolas Lebourg : Durant sa campagne en 2020, Louis Aliot a présenté un programme de fusion des droites, avec un libéralisme économique « type Macron », un conservatisme moral « type Fillon », auquel s’est ajouté son propre logiciel idéologique. Dès son élection, la surprise est venue de mesures dites de gauche.

Il a mis en place un dispositif d’encadrement du marché immobilier qui, durant la campagne, figurait dans le programme de la liste de gauche radicale, soutenue par La France insoumise et le Nouveau parti anticapitaliste. Il a également organisé un événement de soutien aux street-artistes pour exposer dans les rues de la ville.

Enfin, il a relancé la rénovation du quartier gitan. Perpignan compte la plus importante population sédentaire gitane d’Europe occidentale, concentrée sur un des quartiers les plus pauvres de France, marqué par le souvenir d’émeutes inter-ethniques en 2005 et comportant 4 000 logements classés comme « indignes », c’est-à-dire au-delà de l’insalubrité.

La rénovation du quartier passe par une dizaine de réunions avec les habitants : il a expliqué qu’il fallait co-construire, qu’ils seraient associés aux choix et aux étapes, bref un discours participatif et pro-gitan qu’on n’attendait pas forcément du RN au pouvoir.

Et s’il a tout fait pour empêcher l’installation d’une structure d’aides aux jeunes réfugiés afghans sur la ville, il vient de partir pour la Pologne pour ramener des réfugiés ukrainiens qui seront hébergés par la ville. Il l’a annoncé en faisant un parallèle avec l’aide aux réfugiés antifascistes lors de la fin de la guerre d’Espagne. On notera que l’ensemble de ses éléments devraient lui permettre lors des prochaines municipales de totalement bloquer la gauche sur le registre du barrage à l’extrême droite.

LCDL : Louis Aliot mène-t-il une politique d’extrême droite dans sa ville ?

Nicolas Lebourg : Il faut savoir que les maires en France ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent. Si on compare aux autres maires d’extrême droite, la différence saute aux yeux. Bruno Mégret, maire de Vitrolles quand il était le numéro 2 du FN, s’était fait remarquer par son extrême brutalité et son dogmatisme : guerre faite aux associations, aux milieux culturels, tentative d’établissement de mesures de préférence nationale (NDLR : annulées par la justice). Les Vitrollais ne l’ont pas renouvelé.

A Béziers, le maire Robert Ménard a enchaîné les provocations populistes sur les réseaux sociaux entre 2014 et 2020, mais cette provocation, un peu à la Trump, a cessé depuis le début de son second mandat et il a manifestement compris que pour les Bitterois ce qui avait compté dans son premier mandat c’étaient les travaux faits dans le centre-ville et non ses polémiques médiatiques.

Sur une toute petite ville comme Beaucaire, le maire reste beaucoup plus provocateur, beaucoup plus dans l’affrontement avec les milieux associatifs et les provocations islamophobes.

En somme, si on compare, Louis Aliot a bien compris qu’une carrière politique nationale (NDLR : il était candidat à la présidence par intérim du RN lors du congrès de 2021 tenu à Perpignan) ne se fait pas en entretenant un climat de guerre civile dans sa ville. La prise de Perpignan est le seul vrai succès récent du parti qui n’a obtenu des élus que dans 0,8% des communes françaises lors des dernières municipales.

Dans une extrême droite déchirée par la guerre fratricide entre partisans d’une Marine Le Pen usée et un Eric Zemmour qui effraie une partie de la population, une reconstruction s’imposera ; Louis Aliot a, après tout, tout intérêt à pouvoir y apparaître comme celui dont la ligne a permis la conquête de la seule grande ville aux dernières municipales et dont le bilan sera certes sujet à débats mais pas à polémiques.

 

Nadir Dendoune