Point de vue – Etats-Unis. Le séditieux et le peuple non populaire

 Point de vue – Etats-Unis. Le séditieux et le peuple non populaire

WASHINGTON DC, USA – 6 JANVIER 2021: Les partisans du président américain Donald Trump rassemblés devant le Capitole, le jour, de la session de la certification de la victoire de Joe Biden. TAYFUN COSKUN / ANADOLU AGENCY VIA AFP

Trump est un populiste qui croit au mythe populaire de son peuple. Il n’accepte pas le choix démocratique du peuple électoral au prétexte qu’il est frauduleux, et le montre par la violence. Ce faisant, il entre dans la sédition.

WASHINGTON DC, USA - 6 JANVIER 2021. Les partisans de Trump, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, devant le Capitole. ROBERTO SCHMIDT / AFP
WASHINGTON DC, USA – 6 JANVIER 2021. Les partisans de Trump, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, devant le Capitole. ROBERTO SCHMIDT / AFP

 

Qu’arrive-t-il lorsqu’un homme au pouvoir qui croit incarner le peuple ; qui sacralise le peuple « infaillible » jusqu’à lui imputer toutes ses bêtises et ses errements ; qui est aveuglé par l’idée que le peuple, ou plutôt son peuple, se bat en permanence contre l’intelligentsia et les autres « peuples » du pays, qu’il ne cesse de mépriser et d’exclure en tant que chef d’Etat ; qui a une conception populiste du peuple, par l’adhésion mystique et exclusive de celui-ci à sa personne ; qui est le seul interprète ou représentant possible du peuple, à l’exclusion de tous les autres candidats et courants ; et qui, au final, trouve que le peuple lui échappe ignoblement, lui tourne le dos ? Qu’arrive-t-il lorsqu’il se rend à l’évidence que son peuple est devenu impopulaire, et que le peuple légal et réel, électoral et démocratique, l’a désavoué ?

Ce qui lui arrive alors, c’est qu’il glisse ou vers la dictature ou vers le dérèglement ou il sombre dans la psychopathie.

C’est vers tous ces cas simultanés que semble glisser le président Trump, qui achève mal son mandat par la sédition, le jour même de la certification des résultats du vote des grands électeurs par le Congrès et de la proclamation de la victoire officielle de Joe Biden. Désespéré, il encourage ses partisans et ses milices à prendre d’assaut par la violence la Coupole lors d’un jour symbolisant pourtant la démocratie américaine. La démocratie doit-elle être à sens unique comme dans les tyrannies ? Oui semble dire Trump. Elle ne doit avoir de sens que si elle proclame ostensiblement sa victoire. Elle est pure falsification si elle ose la renier. Trump réunit en lui l’anti-institutionnalisme et l’anti-démocratisme sur le plan politique, et l’antisocialité sur le plan personnel et psychologique. C’est ce qui fait de lui un populiste.

WASHINGTON DC, USA - 6 JANVIER 2021 : Des manifestants pro-Trump ont pris d'assaut le Capitole américain alors que les élus procédaient à la certification de la victoire de Joe Biden.
WASHINGTON DC, USA – 6 JANVIER 2021. Des manifestants pro-Trump ont pris d’assaut le Capitole, alors que les élus procédaient à la certification de la victoire de Joe Biden. MOSTAFA BASSIM / AGENCE ANADOLU / VIA AFP

Nul n’est propriétaire des électeurs

En démocratie, il est banal de dire que nul n’est propriétaire du peuple : ni des électeurs, ni de la volonté générale, ni de la volonté majoritaire ou minoritaire, ni du peuple en entier. Les dirigeants louent momentanément la démocratie, ils ne peuvent s’en approprier, aussi charismatiques ou exceptionnels soient-ils. Qu’ils soient raisonnables, égocentriques ou populistes, ils doivent reconnaitre le verdict des urnes, notamment leur défaite, lorsque le jeu est pluriel, disputé et sincère. La perpétuité n’est pas une devise démocratique ou républicaine.

Il faut croire qu’il n’y a pas de pire châtiment pour un populiste que de voir le peuple, dont il se réclame abusivement, lui faire défaut et l’abandonner au profit de son concurrent. Surtout lorsque l’on prétend être l’homme « providentiel » d’un peuple « providentiel », toujours menacé par la classe politique, les élites et les puissances occultes. « Je suis populiste, disait Michel Onfray, parce que si on n’est pas populiste, on est populicide ». C’est le fond de la pensée populiste. Le peuple est en déperdition, marginalisé et manipulé par les puissants, il attend un prophète conducteur. La démocratie trompe le peuple. Les autres doivent être exclus de la démocratie.

Seulement, le populisme n’est pas forcément le peuple au sens substantiel du terme, ni la popularité au sens électoral ou sociologique (opinion) du terme. Le peuple-instinctif ou ressenti des populistes, n’est pas forcément le peuple libre ou versatile des démocraties. Il est impossible à un candidat ou à un parti politique de représenter réellement tout le peuple, ou de représenter la libre volonté générale, autrement que dans la symbolique juridique ou philosophique. On ne représente politiquement et sociologiquement qu’une partie du peuple. Tous les démocrates le savent, sauf Trump et les populistes. On gouverne au nom du peuple, mais on ne représente pas tout le peuple, en tout cas pas durablement. Autrement, il faudrait assujettir le peuple de force, se l’approprier contre son gré, contre tous les autres. Comme l’indique la sédition de dernière minute d’un homme isolé et de ses partisans sermonnés.

Jake Angeli (C) figure de proue des partisans de Donald Trump, lors de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington, DC.
Jake Angeli (C) figure de proue des partisans de Donald Trump, lors de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington, DC. SAUL LOEB / AFP

Peuple conservateur et non populaire

Le peuple de Trump est non populaire, non seulement parce qu’il a été électoralement battu, mais encore parce qu’il est de type conservateur. Un peuple certes populaire dans le sens sociologique du terme, composé d’ouvriers, de mineurs, de prêtres, de fermiers, de pêcheurs, constructeurs de navires, commerçants, patriotes, anciens soldats, qui ont tous en commun l’amour de leur famille, de leur pays et de Dieu. Mais on peut aussi mal aimer. Leur conservatisme primitif est favorable aux valeurs traditionnelles, réfractaire à tout progressisme, à toute liberté libérale. Les philosophes conservateurs diront, eux, que l’ordre social est indépendant de la volonté humaine. « Conserver », c’est maintenir, préserver un ordre préétabli à la construction duquel les hommes ne sont pas intervenus. Un ordre conçu par et pour les nationaux de souche contre le monde extérieur. Le conservatisme qui rejoint le populisme consiste alors à refuser le changement au profit d’un ordre fermé, lié au contexte d’existence d’un peuple, conforme à ses conventions, ses préjugés et ses traditions.

En tout cas, ce peuple n’est pas un peuple dans le sens massif, objectif, général ou souverain du terme. C’est un peuple extrémiste, sectaire, excessivement partial, rempli de préjugés, qui ne parle pas le langage de l’universalité, ni celui du bien public, ni même celui des véritables droits et intérêts individuels de chacun. Un peuple incarnant dans le cas d’espèce les penchants négatifs et brutaux de la population américaine : racisme, suprémacisme, possession d’armes, mafia, virilité, vulgarité, violence. « Les pitoyables », comme aimait les appeler la candidate démocrate Hillary Clinton. D’où la coïncidente rencontre de ce peuple avec Trump, qui, bien qu’inapte à gouverner, a une force de mobilisation certaine, des moyens financiers considérables, qui sait parler le langage que comprend le peuple populiste, qui a visiblement un niveau intellectuel similaire au sien.

Les manifestants pro-Trump dans la rotonde du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington, DC.
Les manifestants pro-Trump dans la rotonde du Capitole le 6 janvier 2021 à Washington, DC. SAUL LOEB / AFP

La vulgarité démocratique

On est ici dans le domaine de la vulgarité démocratique, prise dans un sens à la fois léger et profond du terme. On se souvient des Grecs qui tenaient la démocratie en piètre estime. Pour Platon, Aristote, Thucydide et Plutarque, la démocratie était caractérisée par la figure du démagogue qu’était le dirigeant démocratique. Un homme qui prenait des décisions précipitées, peu justifiées par la raison, qui était coléreux, impulsif, irréfléchi et enclin aux représailles, qui cherchait toujours la faveur de ceux qui lui ressemblaient. On en est exactement là aujourd’hui, dans cette plus grande démocratie du monde moderne qu’est la démocratie américaine.

Si Trump était soucieux de sa carrière politique, il se serait racheté durant cette transition, en essayant de paraître flexible, raisonnable, fair-play, en tendant la main à Joe Biden et à son équipe, en se réconciliant avec les médias et avec ses anciens amis et collaborateurs qui l’ont abandonné, en tentant de reconstruire le parti républicain qu’il a cassé. C’est oublier qu’il n’est pas dans la nature d’un populiste d’être raisonnable, réfléchi et pragmatique. Au fond, il penche beaucoup plus vers les instincts dictatoriaux, qui ont le mérite d’être simplistes, brutes, radicaux, sans ambiguïté, que vers la complexité démocratique, qui l’oblige à être ce qu’il n’est pas. C’est en cela qu’il est un danger pour la démocratie. Son délire de la puissance lui a fait perdre, à la suite de cet incident, toute crédibilité politique, même à l’intérieur de son camp. Même si le trumpisme a des chances de survivre à Trump et de se maintenir dans le débat politique américain.

Il ne faut pas considérer cette dernière sédition de Trump et de ses troupes comme la faillite d’une démocratie ou d’un système, comme le pensent déjà les dirigeants autoritaires, mais plutôt comme le dérèglement d’un homme habité par un trouble de la personnalité. La démocratie n’est pas en cause, ni ses valeurs. La preuve, c’est que le soir même, une fois les séditieux maîtrisés par les forces de police, le Sénat a continué paisiblement le décompte et a achevé la certification des votes, en proclamant le démocrate Joe Biden, vainqueur officiel sorti de l’urne. L’expérience de Trump, comme d’autres dirigeants en démocratie, nous indique seulement que le pouvoir provenant du peuple, sous un habillage populiste ou non populiste,  n’est pas forcément un pouvoir éclairé et raisonnable. Il peut glisser, si l’on n’y prend pas garde, vers des formes de dictature ou vers des formes de démocratie autoritaire.

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Hatem M'rad